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Chapitre 1, p. 6

6 HISTOIRE
Cependant, la Cour étoit curieuse
de sçavoir quelle étoit cette belle
Dame , & par quelle avanture le Roy
l’avoit amenée avec luy : Ce Prince,
qui n’en parla point à son coucher, fit
encore augmenter la curiosité ; il se
mit au lit , & passa la nuit dans de
terribles inquietudes. Sa passion l’a¬
gita si fort qu’il n’eut qu’un sommeil
interrompu; il s’étoit fait une idée si
vive de Pressine qu’il luy sembloit ne
l’avoir point quittee ; & même, comme
les ombres de la nuit donnent de la
hardiesse à un Amant , il se hazardoit
quelquefois à vouloir l’embrasser ; en¬
suite il luy demandoit pardon de sa
temerité ; mais le jour commençant à
paroître fit évanouïr toutes ses agrea¬
bles chimeres , & ne luy laissa que
son amour. Alors il eut des pensées
moins confuses ; il repassa dans son
esprit la declaration qu’il avoit faite
à Pressine , qui ayant tourné la chose
en galanterie ne luy avoit fait aucune
réponse positive : l’ardeur qui le de-
voroit n’etoit pas contente de cela ; il
voulut s’expliquer plus ouvertement

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DE MELUSINE 5
disoit ce Prince , en regardant fixe-
ment Pressine , si je trouvois une per¬
sonne comme vous , Madame , qui
voulût essuyer mes larmes , je tâche¬
rois de me consoler de la mort d’une
Princesse que j’aimois tendrement.
Cette Personne seroit fort heureu-
se , Seigneur , repartit Pressine ; la
tendresse que vous avés euë pour la
premiere seroit d’un bon augure pour
la seconde. Au surplus, je ne me
flate pas d’avoir le merite que vous
croyés trouver en moy pour parvenir
à ce bonheur.
Vous n’en avés que trop, reprit le
Roy, j’en ay ressenti les effets au pre¬
mier instant que je vous ay vûë ; &
je sens du plaisir à laisser augmenter
dans mon coeur l’ardeur que vous y
avés fait naître.
Pressine rougit à cet aveu, & y ré-
pondit modestement ; toute la con¬
versation roula sur le même sujet ; elle
fut fort animée & tres galante ; enfin,
le Prince se retira pour laisser à sa nou-
velle Maîtresse la liberté de prendre
du repos.
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4 HISTOIRE
que fort loin, & des logis indignes
de recevoir une personne comme vous;
ces raisons m’engagent à vous prier de
prendre un apartement dans une mai¬
son de chasse que j’ay au bord de cette
forest.
Pressine aprés quelques difficultés
accepta cet office , & pendant qu’E¬
linas l’accompagnoit en luy tenant des
discours pleins de galanterie sur son
heureuse avanture ; le Cerf de meute
que couroient les Piqueurs du Roy
vint à passer proche d’eux , les chiens
en queue, & tous les Chasseurs ; de
sorte qu’étant sur ses fins , le Roy
donna à Pressine le plaisir de le voir
aux abois ; ensuite il la mena au Châ¬
teau, & la conduisit dans l’apartement
le plus propre.
Elinas passa la soirée avec cette belle
Dame, dont il devenoit de moment
en moment plus amoureux : Leur
entretien roula sur la puissance du
Royaume d’Albanie , sur l’heureuse
tranquilité de ses Peuples , sur la fa-
mille du Roy , sur la perte qu’il ve¬
noit de faire de la Reine. Helas !

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DE MELUSINE 3
elle prit donc congé du Roy , & il luy
aida à monter à cheval.
Dés qu’elle fut éloignée , Elinas
qui avoit conçû de l’amour pour elle,
fut chagrin de l’avoir laissée partir
ainsi , & la suivit ; il rencontra en
chemin une partie de ses Gens, &
les congedia : Enfin, avançant dans
la forest, & marchant sur les traces
de la Dame, il la joignit, & l’aborda
avec un trouble d’esprit si grand qu’il
ne put proferer une seule parole. Pres¬
sine qui sçavoit tres-bien ce qui de¬
voit arriver de cette rencontre , luy
dit : Elinas, pourquoy me suivez¬
vous ? Le Roy s’entendant nommer
fut encore plus surpris qu’auparavant,
parce qu’il ne la connoissoit point ;
cependant , reprenant ses esprits , il
luy dit , Madame , puisque vous pas¬
sez par mes Estats, & que vous pa¬
roissez étrangere , je viens vous of¬
frir tout ce qui dépend de moy ; le
Soleil commence à tomber , & je ne
puis vous voir marcher seule de la
sorte ; je connois tres-bien ce Pays ,
vous ne trouverés point de retraite
A ij

Chapitre 1, p. 2

2 HISTOIRE
L’avanture qui fit connoître Pressi¬
ne à Elinas est particuliere. Ce Prince
aprés la mort de sa femme s’étoit adon¬
né à la chasse comme à un exercice af¬
sez propre pour dissiper ses chagrins,
parce qu’on est toujours en action. Un
jour qu’il chassoit par une chaleur ex¬
cessive, il se trouva separé de sa suite,
& ayant grand soif, il s’avança vers
une fontaine où il entendit une Dame
qui chantoit parfaitement bien; il ap¬
procha doucement, & s’arrêta quelque
tems pour l’écouter ; mais le desir de
la voir le pressant encore plus que la
soif , il marcha vers la fontaine, & sa¬
lua la Dame, qu’il trouva la plus belle
personne du monde.
A peine eut-il achevé son compli¬
ment, sur l’heureuse rencontre qu’il
faisoit, & receu celuy de la Dame,
qui luy avoit répondu fort galament,
qu’il vit arriver un Page tenant en
main un tres-beau cheval, & le plus
richement harnaché qu’il eût jamais
vû. Ce Page dit à Pressine , en l’a¬
bordant: Madame , il est tems de
partir , si vous le trouvez à propos;

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HISTOIRE
DE
MELUSINE.
CHAPITRE I.
ELINAS ROY D’ALBANIE
Se marie avec Pressine la Fée.

MELUSINE étoit fille d’Eli¬
nas Roy d’Albanie, & de
Pressine ,laquelle il épousa
en secondes noces.L’Histoi¬
re rapporte que Pressine étoit Fée , &
que les Fées avoient le don de faire
tout ce qu’il leur plaisoit, jusqu’à char¬
mer les hommes qu’elles trouvoient à
leur gré, & se marier avec eux , à cer-
taines conditions, qui les rendoient
heureux & puissans, s’ils les obser¬
voient ; & au contraire, tres-malheu¬
reux, quand ils faussoient leurs pro¬
messes. A*