Chapitre I

GEOFROY aprés la disparition de MELUSINE, & la retraite de son pere, prend possession de ses Estats, établit ses freres, & va à la conqueste des trésors d’ELINAS.

NOUS avons rapporté dans l’Histoire de Melusine, que Geofroy son sixiéme fils, surnommé à la Grand’dent, avoit fait voir dés son enfance, la force qu’il auroit un jour, & qu’il seroit un des plus vaillans hommes de son siecle.

Aprés la disparition de cette puissante Fée, & le départ de Raimondin pour Rome, Geofroy ayant esté reconnu par les Barons de ses Estats pour leur Souverain, s’attacha à suivre la mesme conduite qu’avoient tenuë ses parens dans le gouvernement ; Et Melusine, qui malgré sa metamorphose, n’avoit point perdu l’amour qu’elle avoit pour ses enfans, venoit de temps en temps à Lusignan, & les instruisoit de ce qu’ils avoient à faire pour gouverner heureusement leurs peuples.

Geofroy employa dix années à regler ainsi ses affaires. Il rendit ses Provinces florissantes, tant par le commerce qu’il y établit avec grand soin, que par les équitables Ordonnances qu’il y fit observer. Pendant ce temps-là Thierry son frere puisné estant devenu grand, il le mit en possession de son apanage, qui estoit le château de Partenay, & toutes les terres que sa mere luy avoit données par son Testament verbal jusqu’à la Rochelle.

Dans ces entrefaites Raimondin mourut au lieu qu’il avoit choisi pour sa retraite. Quelques Auteurs disent que Geofroy & ses fretes Thierry & Raimond allerent chercher son corps en Espagne, & l’apporterent à Lusignan. D’autres asseurent que Melusine elle-mesme prit soin, avant que ses enfans fussent avertis de la mort de leur pere, de le faire transporter dans ce lieu avec un nombreux cortege, & une pompe mngnifique; Et que le bruit de leur marche s’estant répandu avant leur arrivée à Lyon, le Comte de Forest s’y estoit rendu en diligence pour aller au devant du corps de son frere, mais que ne connoissant aucun de ceux qui donnoient les ordres à ce convoy, il s’estoit mis en devoir de s’opposer à leur passage, prenant cette pompe funebre pour une fourberie, ou pour une illusion, & qu’il y avoit esté tres-maltraité avec la troupe qui l’escortoit, ce qui l’avoit porté à décrier cette pompe en des termes fort injurieux à la memoire de Melusine qu’il n’aimoit pas & à laquelle il attribuoit cet enchantement.

Le corps de Raimondin fut donc apporté à Lusignan, & mis dans un tombeau superbe qui se trouva construit dans la Chapelle de nostre Dame, à costé droit du maistre Autel; & ce riche monument a subsisté jusqu’à la destruction de la forteresse.

Cette dernière insulte du Comte de Forest, fit que Melusine inspira à Geofroy de luy faire la guerre, sous pretexte qu’il avoit manqué de respect pour les cendres de son pere. Ce Prince fut ravi que cette occasion le fist sortir du repos où sa valeur paroissoit ensevelie. Il leva des troupes tant dans ses Estats que dans ceux de ses freres, car le Comte de la Marche estant mort alors, Odon se voyoit maistre de cette grande Province.

Les preparatifs de ce puissant armement ne pûrent pas se faire sans que le Comte de Forest n’en fût averti. Il arma aussi de son costé, & demanda du secours à ses voisins. Le Dauphin de Viennois qui haïssoit la Maison de Lusignan, à cause de l’affaire d’Odon, luy envoya des troupes, & engagea le Comte de Provence à faire la mesme chose, mais elles n’arriverent pas asseztost pour s’opposer à Geofroy, qui entra avec une belle armée en Forest, tua son oncle à la teste du peu de troupes qu’il avoit ramassées pour sa défense, s’empara de son pays, y établit Raimond son frere pour y regner, & accomplit, par cette victoire, la prédiction de Melusine.

Cette heureuse expedition enfla le courage de Geofroy. Il luy vint en pensée d’aller attaquer le Dauphin & le Comte de Provence, pour ne pas leur laisser le regret d’avoir armé inutilement ; Cependant il jugea plus à propos de remettre cette vengeance à un autre temps, & employer sa valeur à remplir sa destinée, qui l’engageoit à de terribles travaux, comme nous allons voir.

Nous avons dit que Pressine, mere de Melusine, avoit enfermé par punition une de ses filles nommée Palatine, dans la montagne de Guido, avec tous les trésors d’Elinas, Roy d’Albanie son mari, & qu’elle en devoit estre délivrée par un Chevalier de sa famille, qui tuëroit un Geant qui les gardoit, & enleveroit tous ces trésors pour s’en servir à la conqueste de la Terre Sainte. Melusine qui aparoissoit de temps en temps à Geofroy, l’avertissoit qu’il devoit continuer d’obéïr à la Providence Divine, qui demandoit de luy l’execution des grands évenemens qui devoient arriver par son ministere. Elle luy representoit que les diverses nouvelles qui estoient venuës de la perte que Guy son frere aisné avoit faite du Royaume de Jerusalem, devoit le porter à lui donner du secours, elle ajoütoit que le Roy d’Armenie & luy souffroient beaucoup à soûtenir presque seuls toute la puissance des Sarazins. Enfin elle luy enseignoit les moyens de réüssir dans ses expeditions.

Ces bons conseils faisoient grande impression sur le cœur de Geofroy, mais les conjonctures difficiles, où il s’étoit veu engagé depuis long-temps, suspendoient l’execution de sa bonne volonté ; cependant aprés avoir étably Raymond dans la possession du Fo[r]est, il s’en retourna à Lusignan, où il s’appliqua à mettre ordre à ses affaires particulieres, donna tous ses soins pour preparer une puissante flotte à la Rochelle, afin d’aller secourir les Rois de Jerusalem & d’Armenie, laissa des troupes à ses freres pour se maintenir contre leurs voisins, choisit son frere Odon, Comte de la Marche, pour commander en son absence dans Lusignan ; & aprés avoir si bien disposé toutes choses, il s’embarqua pour aller remplir ses grandes destinées.

La flotte de ce nouveau conquerant mit à la voile par un vent favorable, il perdit insensiblement ses terres de vûë, arriva à Gibraltar ; & ayant doublé heureusement le détroit, il rencontra cinq vaisseaux Sarazins qui alloient joindre leur armée navale qui s’assembloit à Caïphas, Port assez voisin de Ptolemaïde. * Ces vaisseaux ayant esté reconnus appartenir aux Infideles, furent attaquez vigoureusement par Geofroy, qui les prit sans beaucoup de resistance, hors un qui se défendit tresvaillamment, parce qu’il estoit commandé par un Officier de consideration. Cette escadre portoit une grosse somme de deniers pour le payement des troupes, & des provisions de guerre & de bouche.

Geofroy, aprés avoir donné les ordres necessaires pour s’assurer de tous les prisonniers, & des richesses qui se trouvoient dans leurs vaisseaux, curieux de sçavoir les avantures de ses freres depuis plus de dix années, qu’il n’en avoit receu que des nouvelles assez incertaines, parce qu’il n’avoit pas eu un commerce aussi frequent avec eux, que celuy qu’ils entretenoient pendant le regne de leur mere, s’informa de l’Officier qui s’étoit rendu à luy, en quel état estoient les affaires des Chrétiens, & des Mahometans.

Cet homme en estoit tres-bien instruit, parce qu’il avoit assisté à toutes les actions qui s’étoient passées depuis long-temps. Il apprit à Geofroy que les Chrestiens avoient fait de grandes pertes depuis environ trois ans, dont la principale estoit la Ville de Jerusalem, prise sur Guy de Lusignan, qui en estoit devenu Souverain, à cause de la Princesse Sibylle, sœur du Roy Baudoüin IV. qu’il avoit épousée en secondes nôces.

Geofroy voyant que cet homme luyparloit si positivement & si juste, luydemanda s’il connoissoit le Roy Guy, il luy répondit qu’il avoit esté deux ans son esclave ; que pendant ce tempslà il s’étoit appliqué à l’Histoire, & que se sentant du genie pour cette science, il s’étoit attaché à écrire tout ce qui se passoit de remarquable ; & qu’on l’avoit tiré d’esclavage, en l’échangeant avec un Chevalier chrestien, que l’Amiral de Cordes avoit eu bien de la peine à rendre. Cet Officier parut de si bon sens à Geofroy, qu’il le pria de luy raconter fidelement de quelle maniere Jerusalem avoit esté prise par les Sarazins, ce que l’Officier fit en ces termes.

Guy estoit le neuviéme Roy depuis l’établissement de ce Royaume par Godefroy de Boüillon, Duc de Lorraine, qui s’empara de Jerusalem en 1099. & que Guy perdit en 1187. Ainsi les Chrestiens l’ont possedée sans interruption, l’espace de 88. ans.

Les jalousies que ces Princes avoient les uns contre les autres, furent cause de leur mauvaise fortune. La premiere origine en est éloignée, mais celle qui nous a paru, est que Guy de Lusignan ayant esté couronné Roy aprés la mort de Baudoüin V. petit enfant, & fils de la Reine Sibylle sa femme, Raimond Comte de Tripoli, qui aspiroit à la Couronne, en fut outré, & se retira dans ses Estats, où il machina la perte de ce Royaume, car il lia un commerce secret avec *Saladin, Soudan du grand Caire, qui estoit pour lors en Damas, c’est le même qui a pris Ptolemaïde. Ce Prince a de la valeur, & est grand politique : il a acquis ces vertus parmy les Chrestiens avec lesquels il a frequenté longtemps, ayant parcouru toute l’Europe incognitò.

Raimond persuada à ce Prince de faire la guerre à Guy, & luy en donna tous les moyens. Saladin entra dans les terres des Chrestiens avec une nombreuse armée : cependant Guy, qui n’avoit que quinze mille hommes d’infanterie & deux mille chevaux, l’ayant déja soûtenu dans une occasion, auroit pû l’obliger à se retirer, si le Comte de Tripoli, qui s’étoit venu joindre à luy avec des apparences de le secourir, ne l’avoit trahi, en s’opposant dans les conseils aux opinions les plus solides, & les plus justes, ensuite donnant avis à Saladin de tous les desseins qu’on avoit ; enfin prenant la fuite luy-même avec tous les siens dans un jour de bataille, ce qui jetta une si grande épouvante dans l’armée Chrestienne, qu’elle fut contrainte d’imiter ce funeste exemple, & de ceder la victoire à Saladin, quelque effort que Guy pût faire pour empescher la deroute ; & ce qui fut encore de plus triste, c’est que ce Roy fut fait prisonnier, avec Boniface, Marquis de Montferrat, Renault de Chastillon, & plusieurs autres Princes & Chevaliers.

Je me trouvay ce jour-là prés du pavillon de Saladin, lorsqu’il fit couper la teste à Chastillon ; parce que quelque temps auparavant, l’ayant pris, il luy avoit fait promettre & jurer de ne porter jamais les armes contre luy. Mais une chose tres-étonnante que je vais vous dire, c’est que le Comte de Tripoli, ayant pris des mesures avec Saladin aprés la bataille pour luy livrer Jerusalem, on le trouva mort dans son lit le matin qu’il devoit commettre cette trahison. Saladin ayant manqué ce coup, s’empara de quelques forteresses, & ensuite de Ptolemaïde.

Cependant plusieurs Princes Chrétiens s’étoient jettez dans Jerusalem pour la défendre, entr’autres Bemond, Prince d’Antioche. Saladin les assiegea, & les pressa vigoureusement. Ils firent une grande resistance, mais ils furent contraints de se rendre, parce qu’ils n’esperoient avcun secours. La capitulation qui se fit avec la Reine, fut que les Chrestiens Latins sortiroient armes & bagages pour se retirer où il leur plairoit. Ce fut le 2. Octobre 1187.

La Reine choisit Tripoli pour sa retraite, & quelques jours aprés ayant amassé une grosse somme d’argent, elle racheta son époux, & plusieurs Seigneurs. Guy ne fut pas plustôt sorti de prison, qu’il songea à assembler des troupes, & à demander du secours de toutes parts, nos dernieres nouvelles marquent qu’il attend le Roy d’Armenie son frere, & d’autres Princes, pour s’opposer aux conquestes de Saladin.

L’Officier ayant fini son discours, Geofroy fronçant le sourcil, dit qu’il marchoit pour vanger son frere, & pour punir le Soudan de son entreprise. La mine épouvantable qu’il fit en proferant ces paroles, contraignit le Sarazin à baisser les yeux. Geofroy estoit un homme terrible à voir, il estoit grand & gros à proportion, avoit l’air majestueux, le visage large, tous les traits beaux, mais cette dent qui luy sortoit de la bouche de la longueur d’un pouce à la machoire d’enhaut, inspiroit de la crainte à tous ceux qui l’envisageoient la premiere fois.

Ce Prince employa une partie de la nuit à songer à ce qu’il avoit à faire dans l’état où il apprenoit qu’estoient les choses. Enfin faisant reflexion que le convoy qu’il venoit d’enlever retarderoit les mouvemens des Infideles, & que, puisque sa destinée vouloit qu’il employast les trésors d’Elinas à la conqueste de la Terre Sainte, il estoit absolument necessaire qu’il allât en Albanie avant toutes choses.

Dans cette pensée il donna les ordres à ses pilotes d’en reprendre la route ; Ils s’étoient un peu écartez pour suivre les vaisseaux Sarazins ; & comme ces vaisseaux estoient tres-bons, il fit passer dedans une partie de ses troupes, parce que les siens estoient trop chargez : ainsi toute sa flotte en parut plus legere, & arriva en peu de temps à la vûë de la montagne de Guido.

Cette montagne se voyoit de fort loin dans la mer, dés que Geofroy l’eut apperceuë, il connut que c’étoit le lieu qu’il cherchoit, à un fremissement qu’il sentit dans tous ses membres, cette revolution luy parut de mauvais augure, mais ce n’étoit qu’un avertissement des travaux qu’il alloit entreprendre, dans la necessité de combattre le Geant affreux qui gardoit les tresors de son grand pere ; & il en fut averti par un oracle de la maniere que nous allons le dire.

Ces mouvemens extraordinaires agiterent ce Prince toute la journée : cependant le vent qui estoit favorable, porta la flotte vers une grande plage, où les pilotes envoyerent sonder pour connoistre le fonds, qui se trouva tresbon, & ils y mouillerent.

L’arrivée de la nuit ne permit pas de descendre à terre, on attendit au lendemain, & toutes les chaloupes se trouverent prestes à cet effet dés le matin. Geofroy les remplit de ses plus vaillans Chevaliers, dans le doute où il estoit de trouver, outre le Geant, des gens capables de luy disputer sa conqueste, car il n’étoit que mediocrement informé des lieux où il abordoit.

Dés qu’il eut mis pied à terre, il se vit dans un beau pays planté naturellement. Il y avoit assez loin du rivage à la montagne. Il marcha au moindre bruit qu’il put, il envoya à la découverte ; & il arresta de temps en temps pour considerer les lieux, afin de ne pas s’engager mal à propos. A peine eut-il avancé un quart de lieuë, qu’il aperceut une colomne de marbre : il en approcha, & y lut cette inscription en langue du pays.

Heros à qui le Ciel destine nos trésors,
Garde-toy d’approcher du pied de la
montagne,
Que des ruisseaux de sang ne couvrent
la campagne.
Pour vaincre le Geant, fais des remparts de morts.

Geofroy inspiré dans ce moment, connut que cet oracle s’adressoit à luy, & luy enseignoit la maniere dont il devoit se comporter à la conqueste des trésors qui luy estoient promis. Il s’en retourna donc vers ses vaisseaux, & donna ordre qu’on fist descendre 300. Sarazins, qu’il mit à la teste de ses troupes sans armes. Il les avoit fait choisir entre les mieux faits, car c’étoit pour les exposer à la premiere fureur du Geant, comme des victimes que les manes d’Elinas demandoient pour expier le crime que ses trois filles commirent, quand elles se saisirent de sa personne, & c’étoit l’intention de l’oracle.

Nostre Heros ayant ainsi disposé ses troupes, s’approcha de la montagne, & fit sonner toutes ses trompettes à la fois. Les écos en retentirent de toutes parts; le Geant averti par le bruit, descendit à travers les rochers comme un ours furieux. Geofroy laissa les Sarazins à son passage, & se retira avec ses gens dans un bois qui étoit tout proche. Le Geant se rua sur les Victimes, & employa toutes ses forces à les immoler ; mais comme le nombre étoit grand, & qu’elles se dispersoient, s’enfuyans de costé & d’autre, il se tourmenta prodigieusement à les poursuivre ; en sorte qu’aprés une demy heure, n’en pouvant plus, il tomba dans un ruisseau, qu’il voulut franchir en courant aprés les derniers Sarazins qui restoient en vie.

Geofroy ayant apperçû sa chûte, s’élança sur luy aussi viste qu’un oiseau, & l’attaqua le sabre à la main. Le Geant se releva ; mais le ruisseau étant profond, Geofroy se trouva aussi élevé que luy, & avoit encore l’avantage que les bords étant escarpez, ce monstre ne pouvoit sortir de l’eau. Cependant il porta avec un bruissement terrible, un furieux coup de massuë à Geofroy, qui l’évita heureusement : & s’avançant ensuite, luy abatit le bras d’un seul coup ; car il n’étoit point armé, mais seulement couvert de peaux. Le Geant fit un cry effroyable, & courut de toute sa force le long du ruisseau ; enfin rencontrant un endroit facile à monter, il se pencha pour sortir ; & eut assez de peine à s’appuyer, parce qu’il n’avoit plus qu’une main. Alors Geofroy qui le suivoit de prés, & n’attendoit qu’un moment semblable, ne perdit pas celuy-cy ; il luy déchargea un coup si furieux sur la nuque du cou, qu’il luy coupa la teste, & la retint par un toupet de cheveux : aussi-tost le corps tomba dans le ruisseau, avec un bruit épouvantable, & fit réjaillir l’eau d’une hauteur étonnante.

Cependant les troupes du victorieux qui l’avoient suivy en sortant du bois, ayant vû cette grande action, pousserent mille cris de joye, & les trompettes annoncerent la victoire.

Palatine, que les premiers bruits avoient pareillement émuë, regardoit du haut du Château, qui étoit situé la cime de la montagne, le combat du Chevalier contre le Geant : Et dés qu’elle vit sa teste entre les mains du victorieux, qui avoit de la peine à en soûtenir le poids, elle eut toute la joye possible, de se voir délivrée de la fatalité à laquelle elle étoit attachée ; elle descendit, pour feliciter son neveu de la victoire qu’il venoit de remporter ; & elle fut surprise de sa bonne mine : Geofroy ne le parut pas moins, de la trouver si belle ; elle n’étoit point changée par les ans, car les Fées ont le don de ne point vieillir, ou de paroître belles quand il leur plaît.

Aprés les premiers embrassemens, Palatine donna la main à Geofroy, pour le conduire au Mausolée d’Elinas, & luy montrer toutes les richesses qu’il venoit de conquerir : Le Heros fut étonné de voir une si grande quantité d’or, d’argent, de pierreries, & tant de vazes precieux ; car tout le Château en étoit remply : Ce Bâtiment étoit spacieux ; la Reine Pressine l’avoit fait construire exprés pour les y renfermer, & les donner en garde, avec sa fille, au Geant. Mais comme le charme venoit de finir avec la vie du monstre, Palatine reprenant sa puissance, fit voir en mesme temps à son neveu, outre ces realitez, quantité d’Officiers & de Dames d’Honneur qui se presenterent pour la servir ; ce qui fit qu’ils passerent quelques jours fort agreablement. Enfin Geofroy ayant dessein de partir, donna ordre d’enlever les tresors qu’il avoit conquis ; il les fit porter dans ses vaisseaux pour les employer à faire la guerre aux Infideles, & il s’en acquitta comme nous allons le voir.

Palatine eut beaucoup de peine à se separer de ce Prince ; elle avoit conçû de l’estime pour luy, à cause de sa valeur ; elle luy fit present à son départ d’un Talismant, qui avoit une vertu directe contre toute sorte d’armes offensives, & elle accompagna ce present d’une Bague qui rendoit invisible celuy qui la tenoit dans sa bouche. Ensuite elle le conduisit avec toute sa Cour, jusqu’au rivage, où il s’embarqua, & fit voile du costé de Caïphas.

* Ptolemaïde, anciennement Ptolemaïs & Accon, est ce beau Port qu’on a nommé depuis S. Jean d’ Acre, du mot Grec ἄκρα acra, qui signifie un promontoire, parce que la Ville est située sur une langue de terre qui avance dans la mer.

* Les Histoires anciennes le nomment Salaho’-ddin.