Chapitre VII

Antoine et Regnault de Lusignan marchent contre le roy de Metz, & ensuite contre les Sarrazins. Antoine est élu Duc de Luxembourg, & Regnault Roy de Boheme.

Dés que la nouvelle se fut répanduë par la France, qu’Antoine & Regnault alloient se mettre en campagne pour marcher au secours de la Duchesse de Luxembourg, la Noblesse, qui étoit remplie d’estime pour cette illustre Maison, vint de toutes parts pour les accompagner dans une si juste entreprise, & il y eut de puissans Seigneurs qui amenerent beaucoup de monde avec eux ; ce qui composa en peu de tems, avec les troupes qu’on leva, une armée tres-considerable.

Le rendez-vous general étoit à Lusignan. Les troupes camperent dans la prairie, qui est sous la Forteresse. Jusqu’à leur depart, Antoine & Regnault avoient un soin tres-grand que rien ne manquât au camp, & l’ordre y étoit observé fort exactement ; on faisoit tous les jours l’exercice. Enfin l’armée se trouvant en état de marcher, les deux freres firent leurs adieux, & Melusine en usa à leur égard de la même maniere qu’elle avoit fait avec ses aînez.

La premiere chose que les jeunes guerriers firent étant en marche fut d’entretenir leurs troupes dans une bonne discipline, en passant sur les Terres qui se trouvoient dans leur route ; ils envoyoient toujours par avance demander le passage, pour n’être pas contraints de commettre des actes d’hostilité, & les Princes accordoient leur demande par deux raisons ; la pre miere, que leur armée étoit capable de l’obtenir par la force; la seconde, que la querelle qu’ils embrassoient étoit juste.

Pendant toute la route, Antoine & Regnault prenoient les mesures necessaires pour attaquer les lignes des assiegeans. Les Ambassadeurs leur faisoient un plan de la situation du pays, pour asseoir leur camp avec avantage, quand ils seroient en leur presence. Ils leur enseignoient des moyens pour s’assurer des vivres de toutes parts, & se rendre maîtres de la campagne ; & un jour ils leur dirent qu’ils avoient avis que sur la nouvelle qui s’étoit répanduë qu’il venoit du secours, tous ceux qui n’étoient pas arrivez assez à tems pour se jetter dans la Ville, s’étoient réünis sous un Chef, & inquietoient beaucoup les assiegeants dans leurs convois & dans leurs fourages : de maniere qu’ils ne les soûtenoient que par de grosses escortes ; & qu’ainsi les troupes ennemies se trouvoient tres fatiguées.

Il faut remarquer que parmy tous ces discours, les Ambassadeurs, qui ne songeoient qu’à s’assurer pour toûjours la protection de la Maison de Lusignan, entretenoient leurs Chefs, quand ils en trouvoient l’occasion, des avantages de leur pays, qui étoit d’une plus grande étenduë pour lors qu’il ne l’est aujourd’huy. Ils parloient aussi des belles qualitez de la Duchesse, & Antoine prenoit plaisir à s’en entretenir.

Cependant l’armée s’avançoit, & dés qu’elle fut sur les Terres de Luxembourg, les deux Chefs firent partir un des Barons avec le Chevalier. Celuy-là pour annoncer leur arrivée au Roy de Metz, & luy proposer de lever le siege, aprés luy avoir fait connoître les injustes motifs qui l’avoient porté à l’entreprendre ; sinon luy declarer, qu’ils étoient venus pour le combattre. Celui-cy fut chargé de trouver le moyen de passer dans la Ville, en cas que le Roy demeurât ferme dans son dessein, & on luy remit des Lettres pour rendre à la Duchesse, & au Conseil d’Etat. Celle qui étoit adressée au Conseil, assuroit ; « Que si les Ennemis ne levoient le siege, ils pouvoient s’attendre d’y être forcez ; qu’il ne falloit pas manquer de faire des sorties de toute la garnison au premier bruit qu’on entendroit du côté du camp, pour faire une diversion considerable ; Que le procedé du Roy de Metz étoit en horreur à toutes les troupes, & qu’elles marchoient avec une confiance si merveilleuse, qu’elles partageoient déja ses dépouilles. » Quant à la Lettre pour la Duchesse, elle avoit été écrite par Antoine seul, & étoit conceuë en ces termes :

MADAME, Vôtre Lettre nous a touché si fort, qu’aprés l’avoir luë, nous n’avons pas perdu un moment pour lever des troupes, & marcher à vôtre secours. Le Chevalier vous dira nos forces, & nos bonnes intentions. Si le Ciel les favorise, vous pouvez être assurée de vous voir bien tôt délivrée de vos ennemis. Il ne s’étoit jamais veu jusqu’à present qu’on eût mis le siege devant un cœur pour l’obliger à se rendre. C’est une Place qui ne se gagne qu’à force de tendresse, de soins, d’empressemens, & non pas à main armée ; ce sont-là les troupes qu’on doit faire agir pour s’en rendre maître. Les plus forts bataillons sont de foibles moyens pour s’en emparer. La contrainte en éloigne la possession. Nous aimons la liberté de pouvoir en disposer en faveur de qui il nous plaît. Heureux, Madame, celuy que vous trouverez digne du vôtre.

ANTOINE DE LUSIGNAN.

Le Chevalier qui étoit chargé de ces Lettres, passa heureusement dans la Ville, car le Roy ne voulut entendre à aucune proposition. On ne peut exprimer combien la joye fut grande à la nouvelle de l’arrivée du secours : on disposa tout pour les sorties, & la garnison paroissoit répondre à l’assurance des Lettres.

La Duchesse de son côté fut charmée de voir la galanterie dont Antoine luy écrivoit. Les derniers mots de sa Lettre pouvoient passer pour une declaration. Cet air libre luy fit plaisir. Elle se flatta que ce jeune Guerrier avoit conceu de l’amour pour elle, sur la relation de ses Ambassadeurs ; & c’est aussi de cette maniere que les Princes se connoissent & s’aiment souvent, sans s’être jamais vûs.

Cristine s’entretenoit dans ces sentimens, pendant qu’Antoine & Regnault s’avançoient à grandes journées, parce que le Baron étoit retourné leur porter la réponse du Roy de Metz. Ce Prince, qui avoit de la valeur, ne voulut pas attendre ses Ennemis. Il laissa suffisamment de troupes pour continuer le siege, & marcha au devant du secours, qu’il croyoit, au rapport de ses espions, plus foible qu’il n’etoit ; ce qui le fit abandonner à une maniere de confiance, qui l’empêcha de prendre les précautions qu’il devoit, & lesquelles eussent pû luy assurer la victoire, ou luy donner moyen de la disputer plus long-tems qu’il ne fit : car ses troupes ayant rencontré l’armée d’Antoine, qui marchoit à elles en bataille avec une contenance à ne pas les apprehender, prirent d’abord quelque épouvante, & ensuite leur avant-garde ayant été repoussée avec une vigueur extraordinaire, se renversa sur le corps de l’armée ; ce qui causa un si grand desordre, que tout s’abandonna à une fuite honteuse. Le Roy fit ce qu’il put pour retenir les fuyards, & les rallier ; mais les victorieux les poursuivoient avec tant de chaleur, l’épée dans les reins, qu’ils les menerent battans jusques dans leur camp, où ils entrerent pêlemêle avec eux. Le Roy même pressé par les siens, tomba de cheval à l’entrée des retranchemens, & fut pris par Antoine, qui le donna à garder à son frere, pendant qu’il alla achever de vaincre la garde du camp, qui faisoit une vigoureuse resistance.

Cependant ceux de la Ville ayant aperceu du haut des Tours la déroute du Roy, étoient sortis, & attaquoient vaillamment les troupes qui étoient restées dans le camp; ce qui fit qu’Antoine eut moins de peine à les soumettre. Dés qu’il se vit entierement maître du champ de bataille, il fit venir les quatre Barons, & leur confiant son prisonnier, il les pria d’aller l’offrir de sa part, & de celle de son frere, à la Duchesse, pour en faire ce qu’il luy plairoit. Le Roy fit son possible pour s’exempter de cette honte, jusqu’à dire qu’il aimoit mieux souffrir la mort ; mais Antoine demeura inflexible.

Les Barons firent leur commission. La Duchesse fut extrémement surprise de voir le Roy de Metz, & la generosité d’Antoine. Elle dit au prisonnier, qu’elle ne se sentoit pas assez de force pour le renfermer ; mais qu’il eût à luy promettre, sur sa parole Royale, qu’il ne sortiroit point du Palais sans la permission de ses Vainqueurs. Ce qu’il luy promit volontiers, penetré des manieres honorables dont il se voyoit traitté, contre son attente.

La Duchesse fit prier ensuite ses Liberateurs de venir loger dans la Ville; ce qu’ils firent aprés avoir mis les ordres necessaires au camp ; & elle envoya au devant d’eux les principaux Magistrats, accompagnez des personnes de la premiere qualité de la Cour. Tout le monde étoit surpris de la grife de Lion qui paroissoit sur la jouë d’Antoine, & de voir que Regnault n’avoit qu’un œil ; mais la beauté de leur visage, leur taille avantageuse, & l’air guerrier qu’ils avoient, attiroient l’admiration. Pour la Duchesse, elle n’en fut nullement étonnée : car elle les connoissoit extrémement bien, par la relation du Chevalier, avec qui elle s’en étoit souvent entretenuë. Elle se sentit seulement émeuë à l’abord d’Antoine ; cependant elle se posseda assez pour faire à ces deux Heros des remerciemens proportionnez au service qu’ils luy rendoient, & leur dit qu’elle aviseroit avec son Conseil à la reconnoissance qu’elle leur en devoit.

Antoine prenant la parole luy répondit, que la satisfaction que son frere & luy avoient de la voir si heureusement secouruë, leur tenoit lieu de toute sorte de récompense. Aprés ces honnêtetez, ils passerent à l’apartement du Roy, que son chagrin retenoit solitaire. Antoine en l’abordant, luy tint ce discours.

« L’injustice vous a fait prendre les armes, Seigneur, & violer les droits les plus sacrez ; mais le Ciel vengeur de ces sortes d’actions, vous rend prisonnier d’une Princesse, qui eût peut-être succombé à vos efforts, si nous n’eussions été inspirez de venir à son secours. Vôtre sort dépend de sa volonté, & c’est à elle à le regler. »

« Seigneurs, repartit la Duchesse, les fatigues que vous avez euës, & les hazards que vous avez courus, demandent que le Prisonnier demeure en vôtre possession. Ordonnez donc vous-même de sa destinée.

« En quelque main que je tombe, dit le Roy, on n’aura aucun avantage de me tenir long tems captif, c’est pourquoy vous, Seigneurs, que j’estime pour vôtre valeur ; & vous, Madame, qui malgré mon entreprise, paroissez avoir tant de bonté pour moy, je vous prie de me rendre la liberté, en m’imposant la peine que vous trouverez à propos. »

La Duchesse, qui étoit d’un bon naturel, consentit à cette proposition, & Antoine prononça, « Que le Roy payeroit comptant tous les dommages qu’il avoit faits dans le pays, à l’estimation des Commissaires qui seroient nommez à cet effet. Outre cela, qu’il fonderoit un Prieuré de douze Religieux prés du champ de bataille, pour avoir soin de prier Dieu pour les ames de ceux qui étoient morts dans cette journée, & que pour assurance de ce Traitté il donneroit des ôtages. »

Le Prisonnier consentit à tout pour recouvrer la liberté, & il se crut tellement obligé à ses Vainqueurs, de ne rien demander pour les frais de la guerre, que surmontant genereusement l’amour qu’il avoit pour la Duchesse, il forma le dessein de procurer à Antoine l’avantage d’épouser cette riche heritiere. Il s’en ouvrit à quelques-uns des Barons les plus acreditez, leur representant, que s’ils avoient un Seigneur de cette vertu, ils seroient craints & respectez de leurs voisins. L’affaire fut aussi-tôt proposée dans le Conseil ; & comme en ce temslà on cherchoit les moyens de reconnoître le service signalé qu’on venoit de recevoir des Seigneurs de Lusignan, on trouva qu’il n’y en avoit point de meilleur, que d’offrir à l’aîné ce qu’ils possedoient de plus precieux. Le Roy se chargea d’en parler à Antoine, & les Barons à la Duchesse. Ils y consentirent tous deux d’autant plus volontiers, que l’amour avoit déja fait du progrés dans leurs cœurs depuis leur premiere veuë.

Ce mariage donna beaucoup de joye à toute la Province. Les ceremonies s’en firent avec toute la magnificence de ces tems-là, qui consistoit en des tournois & autres divertissemens semblables. Aprés que la fête fut faite, les Barons renouvellerent leurs hommages au nouveau Duc ; ensuite il alla visiter visiter toutes ses Places, & laissa le Roy de Metz auprés de la Duchesse, son épouse, pour executer les articles de son Traitté.

Dans ces entrefaites, un Courrier, qui cherchoit le Roy, étoit allé droit à Metz, & ne le trouvant point, avoit pris la route de Luxembourg. Il luy rendit une Lettre de Frederic Roy de Boheme, son frere, qui luy mandoit, que le Sarazin Zelodus Roy de Croco étoit entré sur ses Terres avec quatre-vingt mille hommes, & marchoit à Prague, où il s’étoit retiré avec toute sa Noblesse, ne se sentant pas assez fort pour luy faire tête en campagne. C’est pourquoy il le prioit de venir au plutôt à son secours.

Cette nouvelle affligea beaucoup le Roy, parcequ’il se voïoit dans l’impuissance de secourir son frere. La douleur qu’il en avoit, jointe au malheureux état de ses affaires, l’avoient tellement accablé, qu’il étoit retenu au lit, lorsque le Duc arriva. Ce Prince compatit beaucoup à son affliction. Il lut la Lettre de Frederic, & fut touché d’apprendre qu’un si beau Royaume étoit exposé à l’invasion des Infidelles.

Le Roy de Metz voyant le Duc dans ces sentimens, tâcha de l’émouvoir encore davantage, luy representant vivement l’état déplorable où se trouveroit son frere, si les Sarazins le forçoient dans Prague ; qu’il avoit une fille âgée de seize ans, unique heritiere de ses Etats, qui seroit exposée à leur brutalité, & réduite dans un dur esclavage ; qu’il n’y avoit rien qu’il n’offrît pour leur procurer du secours; & qu’il le prioit de luy permettre d’envoyer dans toutes les Cours d’Allemagne, pour en demander non seulement à ses Alliez, mais aussi à tous les Princes ; puisque ce secours regardoit également la conservation de la Foy, & la seureté du pays.

Le Duc Antoine entendant ainsi parler le Roy de Metz, la larme aux yeux, s’offrit d’aller secourir Frederic de toutes ses forces, & le Roy luy promit, qu’à la faveur de ce secours, il feroit donner sa niece en mariage à Regnault avec la Couronne de Boheme aprés la mort de son frere.

Toutes ces considerations firent armer promtement nos deux Heros. Le Roy de Metz alla aussi dans son pays lever autant de soldats qu’il luy fut possible, & il joignit le Duc au plutôt à un rendez-vous qu’il luy assigna sur la route. Le Prince de Cologne leur donna le passage & des troupes; celles de Brandebourg, de Baviere, & plusieurs autres joignirent aussi l’armée Chrétienne. Odon Duc de Baviere étoit à la tête des siennes, comme ayant le plus d’interêt dans cette affaire, car il étoit le plus proche voisin de Prague. Ainsi l’armée se trouva tres-forte, lors qu’elle entra en Boheme.

Elle n’y fut pas plutôt, que le Roy de Metz envoya un Gentilhomme du pays, pour donner avis à son frere du secours qui luy venoit. Le courrier eut le bonheur d’entrer dans la Ville, & il arriva tres juste, parce que Frederic ayant été tué dans une sortie, la garnison, aussi affligée que remplie de crainte, étoit prête à capituler ; mais aprenant une si heureuse nouvelle, sa terreur se dissipa, les forces luy revinrent, & la Princesse Aiglantine, ne songeant qu’à venger la mort de son pere, encouragea elle-même tout le monde à la défense ; si bien que les Sarazins aperçurent bien tôt une nouvelle valeur dans les assiegez. Ils ne sçavoient à quoy l’attribuer ; mais ils en aprirent bien-tôt la cause par leurs coureurs, qui raporterent, qu’une formidable armée de Chretiens venoit au secours de Prague, & n’étoit plus qu’à deux journées du camp.

Cette nouvelle étonna les Sarazins, & Zelodus en parut si surpris, qu’il douta s’il iroit au devant de ces nouveaux ennemis, ou s’il les attendroit dans ses lignes. Enfin il se determina à les attendre, pour ne pas partager ses forces, & il donna tous les ordres necessaires pour les repousser vaillamment.

D’autre côté le Duc Antoine, qui avoit envoyé plusieurs partis vers le camp, pour sçavoir les mouvemens des Sarazins, aprenant qu’ils n’en faisoient aucun, marcha droit à leurs retranchemens, & campa à leur veuë le plus avantageusement qu’il put sur une éminence, qui exposoit son armée aux yeux de toute la Ville, & luy offroit un aussi agreable spectable, qu’il étoit terrible aux Infidelles.

Quant à Zelodus, il visitoit continuellement ses postes, & animoit ses troupes du mieux qu’il pouvoit, avec des discours de mépris contre les Chretiens; mais qui perdirent bien-tôt leur credit dans les esprits, par la fuite de deux gros détachemens, qu’il avoit envoyez garder des passages importans, & qui rentrerent dans les retranchemens avec beaucoup de precipitation, d’effroy, & de perte.

Ces heureux commencemens augmenterent si fort le courage de l’armée Chretienne, que les soldats demandoient à combattre, sans vouloir se reposer ; ce qui fit qu’Antoine, pour profiter de cette ardeur, disposa aussi tôt les attaques Il pria le Roy de Metz, le Duc de Baviere, & Regnault d’en prendre le commandement, & ces Princes s’y comporterent avec tant de valeur, qu’aprés deux heures de combat seulement, ils forcerent les retranchemens des Sarazins ; aidez neanmoins par les assiegez, qui sortirent en grand nombre dans le tems qu’ils virent qu’on attaquoit les lignes. Et cette diversion fit tres-bien : car Zelodus, qui ne s’y attendoit pas, fut contraint de dégarnir quelques-uns de ses postes, pour faire tête de tous côtez ; ainsi les Sarazins se trouvant trop foibles en certains endroits, furent obligez de ceder la victoire aux Chretiens, qui en firent un terrible carnage, & Zelodus fut trouvé parmy les morts.

La joye de cet heureux succés fut diminuée par la douleur d’aprendre, que le Roy de Boheme avoit perdu la vie. La Princesse Aiglantine, qui avoit surmonté dans cette occasion & son sexe & son âge, s’étant trouvée sans cesse à la tête de ses troupes, vint au-devant des Victorieux ; & aprit à son oncle cette triste nouvelle ; elle en étoit si vivement touchée, qu’elle eut de la peine à exprimer à Antoine aux autres Chefs l’obligation qu’elle leur avoit de sa Couronne, & de sa liberté.

Aprés qu’ils eurent témoigné la part qu’ils prenoient tous à la perte qu’elle faisoit du Roy son pere, ils donnerent ordre de poursuivre les Sarazins, qui avoient cherché leur salut dans la fuite. On en assembla un grand nombre ; & le Roy de Metz, qui avoit apris que Zelodus avoit fait brûler le corps de son frere à la veuë de de la Ville, avec indignité, pour émouvoir les assiegez, fit porter celuy de ce Roy barbare sur une montagne voisine, & la fit brûler de même avec un nombre de prisonniers.

Pendant ce tems là on s’appliquoit à preparer la pompe funebre. Tous les Princes assisterent au Service ; & le Roy de Metz, qui n’avoit point encore voulu de clarer à sa niece la promesse qu’il avoit faite au Duc Antoine en faveur de Regnault, parce qu’il étoit juste de luy laisser donner quelques jours à sa douleur, trouva à propos de luy en parler aprés qu’elle eut ren du les derniers devoirs à son pere.

Aiglantine receut cette declaration avec plaisir, persuadée que son oncle ne songeoit qu’à son avantage. Elle assembla ensuite son Conseil, pour deliberer sur cette affaire, & chacun fut ravi de cette proposition ; car une alliance si considerable asseuroit la Couronne de Boheme à la Maison de Frederic, & affermissoit le repos de l’Etat.

Le Roy de Metz aprit aussi-tôt à Antoine & à Regnault la réüssite de leur dessein, & ils allerent ensemble rendre visite à la Princesse, qui les receut agreablement, & ne fut point du tout embarrassée de traitter avec ces Prince d’une affaire si importante. Ce qui les étonna à cause de son âge. Elle fut assistée dans cette negotiation de ses Ministres, & des premiers Seigneurs du Royaume. Les articles du mariage furent dressez, & la celebration s’en fit quelques jours aprés au grand contentement des peuples.

Les réjoüissances, qui se firent à ces noces, furent extraordinaires par tous les divertissemens qui parurent dans l’armée. Les soldats en inventerent de plusieurs sortes ; & la Reine, qui avoit le cœur martial, se plaisoit si fort à les voir, qu’elle étoit presque toûjours dans le camp. Enfin aprés que la fête fut finie, & que Regnault eut travaillé avec son frere, & avec le Roy de Metz, aux moyens de s’affermir sur le Trône, chaque corps des troupes étrangeres reprit le chemin de sa Province ; & Antoine, accompagné du Duc de Baviere, qu’il quitta en repassant par ses Etats, retourna à Luxembourg.

Ces deux Princes, Antoine & Regnault, eurent des enfans mâles, qui augmenterent la reputation de leurs peres. Antoine eut Bertrand & Lohier. Regnault eut Oniphar, Prince tres vaillant, & qui conquit, avec Lohier son cousin, la Hollande, la Zelande, le Danemarc & la Norvege. Bertrand épousa Melide, fille du Roy de Metz, & succeda à son Royaume. Quant à Lohier, il fut Duc de Luxembourg, & purgea les Ardennes de voleurs, qui s’y étoient fortifiez.

Aprés avoir raconté les illustres établissemens de ces cinq premiers fils de Melusine, revenons à Raimondin, qui de son côté s’étoit aquis des Provinces entieres, & recevoit des hommages jusqu’en Bretagne. Ainsi il se voyoit un des plus puissans Seigneurs de France, & sa famille la mieux établie qui fût en Europe. Il avoit receu des nouvelles de la haute fortune de ses deux derniers fils aussi-tôt aprés leur élevation ; ce qui l’avoit comblé de joye.

Ainsi la prophetie de sa femme étoit accomplie à cet égard, & elle se fût soûtenuë pour tout le reste jusqu’à la fin, s’il luy eût gardé la parole qu’il luy avoit donnée, & dont l’execution faisoit la durée de son bonheur ; mais disons de quelle maniere il la faussa, & la triste avanture qui s’ensuivit.