Préface

PREFACE

L’HISTOIRE de Melusine fit tant de bruit dans son tems qu’elle remplit toute l’Europe d’admiration ; & dans la suite, les Curieux voulans en aprofondir la verité, l’ont cherchée dans les Memoires de ceux qui avoient écrit à ce sujet. Entr’autres, la Princesse Marie, Duchesse de Bar, fille de Jean Roy de France, entendant parler un jour, avec étonnement, des prodiges que cette puissante Fée avoit faits, pria son frere le Duc de Berry en 1387. aprés qu’il eut repris la Forteresse de Lusignan aux Anglois, d’en faire composer le recit par un homme sçavant qu’il avoit auprés de luy nommé Jean Daras, lequel mit au jour ce que nous en avons de plus ample.

Cet Auteur dit, dans une maniere de Preface, digne d’être lûë pour son ingenuité, qu’il a tiré toute sa narration des Croniques de Lusignan, qui étoient tombées en la possession du Duc ; comme aussi dans les Ecrits du Comte Salebry Anglois, & d’autres Historiens ; Ajoûtant, qu’il obéit à son Prince, & qu’il refere tout à la gloire de Dieu, parce qu’il est persuadé que son recit est tres-vray, quoy qu’il paroisse incroyable ; mais que l’operatlon des choses surnaturelles, ainsi que le sont celles des Fées, sont des jugemens du Ciel, qui selon le Prophete David, paroissent des abîmes à l’esprit de l’homme, trop foible pour les comprendre.

En effet, on voit dans tous les differens Païs des choses merveilleuses ; chacun raconte les siennes ; toutefois, pas un homme depuis Adam n’a pu en connoître les causes, & en penetrer les raisons. Qui peut expliquer les mysteres des Apparitions, les Translations des Corps vivans d’un endroit dans un autre en un moment, les Edifices construits en peu de tems dans des lieux où il n’y en avoit jamais paru? Ce sont des faits constans parmi toutes les Nations, & qu’on ne peut revoquer en doute sans vouloir détruire les Traditions, les Histoires, & nier même l’existence des Monumens qui subsistent.

La construction du Château de Lusignan est une preuve assurée de ce que je dis : cette merveille s’est faite à la vuë de tout le Peuple de Poitou, dans le temps qu’il étoit soûmis à un Prince particulier. Peut-on avoir ainsi abusé un Peuple entier, & avoir si bien ajusté au theâtre la constructionsi promte de cette Place, avec les prodiges quien precederent la fondation ?

J’ay entrepris de renouveller cette Histoire, & même de l’éclaircir en quantité d’endroits, à la solicitation de plusieurs personnes de qualité qui sont sorties de la fameuse Melusine, dont la posterité devint tres-puissante, par neuf enfans mâles qu’elle eut les uns aprés les autres, dont le premier fut ce fameux Guy de Lusignan Roy de Chipre & de Jerusalem ; & les autres eurent tous des établissemens tres-illustres.

Pour composer nôtre Histoire avec plus d’exactitude, je n’ay pas seulement suivy pour les faits l’Auteur qui l’a écrite en 1387, mais j’ay consulté tous les Livres que j’ay pu découvrir qui en ont parlé. J’ay trouvé que c’étoit environ l’an mille que Melusine fit les prodiges qu’on luy attribuë, & bâtit entr’autres ce Château si fameux & si important, que dans les tems de revolution en France, il fortifioit considerablement le parti qui en étoit en possession. On verra dans la fin de cette Histoire comme il fut pris par les Anglois, & repris sur eux par le Comte de Bery, dont nous venons de parler. Teligny le surprit pour ceux de la Religion en 1569. & quatre mois aprés Louïs de Bourbon, second du nom, Duc de Montpensier, l’assiegea, & le reprit. Enfin, la raison d’Estat obligea à le démolir. On rendit un Arrest au Conseil du Roy pour cela en l’an 1574. Brantome le raporte dans l’Eloge qu’il fait de ce Prince. Quant à la beauté de cette Place, voilà ses propres termes. C’étoit la plus belle Forteresse antique qu’on pût voir, construite par une Dame tres-noble en lignée, en vertu, en esprit, en magnificence, & en tout ce qui fut de son tems, voire d’autre, qui étoit Melusine, de laquelle on a dit tant de choses qui paroissent fable, mais le tout beau & bon ; & si l’on veut dire la verité, c’étoit le Soleil de son tems, de laquelle sont descendus ces braves Seigneurs, Rois, Princes, & Capitaines portans le nom de Lusignan, dont les Histoires sont pleines. Cette grande Maison d’Archiac en étant sortie, en Xaintonge, & de S. Gelais. Ensuite il ajoûte : Que Melusine étoit aparuë, & avoit fait des cris effroyables, quand on donna les premiers coups pour démolir la Forteresse ; ce qui porta la Reine Mere, qui y étoit presente, à s’informer des gens du Pays de tout ce qu’on disoit de cette Fée, & qu’elle en aprit des choses étonnantes, telles que nous allons les décrire. Mais, comme je cite les Auteurs, & les Chroniques d’où ces avantures sont tirées, je ne garantis point les acronismes, & les autres fautes contre l’Histoire.