11 septembre 1872

Guernesey, 11 sept[embre] [18]72, mercredi, 6 h. du m[atin]

Tu fais bien, mon grand bien-aimé, de dormir encore, c’est autant de gagné sur ce vilain sale temps qui n’est pas beau à voir ce matin. Quant à moi ma tasse de thé d’hier soir m’a tenu lieu de sommeil toute la nuit et je ne m’en porte pas plus mal. Donc, hurrah pour l’insomnie ! Les d’Alton ont eu bon nez de ne pas partir ce matin à tous les points de vue : celui de prolonger le bonheur de ton hospitalité et d’esquiver aujourd’hui une mauvaise traversée. Cela se trouve d’autant mieux que ce sont des gens très aimables qui plaisent à tout le monde et qui t’aiment sincèrement, ce qui me va au cœur. Sans compter que cela nous vaudra à tous quelques bonnes petites lectures au picrate de génie ce dont je suis très friande. Il paraît que ce bon loup de mer d’hier soir connaît tous tes livres par cœur [1]. Cela ne m’étonne pas. Ce qui m’étonne c’est qu’il n’en soit pas ainsi pour tous les êtres pensants. Cela viendra avec l’instruction gratuite, laïque et obligatoire. En attendant je sais gré à ce marin belge de nager à pleine voile dans cette merveilleuse poésie plus belle et plus profonde que le Lido sillonné par les rameurs de Venise chantant les strophes de Dante. Je n’ai pas le droit de parler de toutes ces choses mais je le prends au nom de mon amour.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 252
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette