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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 décembre [1835], jeudi matin, 9 h

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Toto. Vous voyez que je suis matineuse par l’heure à laquelle je vous écris. Vous voyez aussi combien ma pensée, mon cœur et ma vie sont à vous, par l’usage que je fais de mon libre arbitre.
Mon cher petit homme, comment avez-vous passé la nuit ? Vous n’avez pas eu froid, j’espère ? Et vous m’avez aiméea un peu que je crois, après vous en être allé cette nuit en me faisant la plus jolie petite grimace de votre répertoire. Et après m’être mise dans mon bon lit chaud, je me suis mise à vous aimer de toutes mes forces comme si j’étais à la tâche et à l’attache. Je me suis endormie avec le désir et l’espoir de vous voir. Je pensais que la romance d’Oscar vous aurait mis en train de jouer le sultan, ne fût-ceb que pour me faire dire ce joli refrain : Oscar s’avance. Oscar, je vais le voir [1]. Mais vous n’êtes pas ambitieux et encore moins amoureux. C’est ce qui fait que vous êtes resté dans le fond de votre chambre comme un vieux bourgeois du Marais que vous êtes. Eh bien tant pis pour vous, car j’avais mieux que des parfums d’Arabie à vous brûler sous la couverture.
Vous n’êtes qu’une bête, ou qu’un grand poète, ce qui a la même signification pour les amoureuses qui, comme moi, passent leurs jours et leurs nuits à attendre ce qui n’est pas venu, ce qui ne vient pas, ce qui ne viendra pas : L’AMOUR.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 228-229
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « aimé ».
b) « ne fusse ».


17 décembre [1835], jeudi soir, 7 h. 35 m.

J’ai commencé à dîner à 7 h. 10 m. Vous voyez, mon cher petit homme, que je n’ai pas abusé de la permission d’être gueulardea, car j’ai lu et j’ai attendu entre ma soupe et mon poisson. Je vous dis tout cela, tigre, pour que vous ne me mangiez pas pour avoir trop mangé. Dites donc, vous n’êtes pas revenu ce soir. Il me prend une furieuse envie d’être jalouse ce soir et de croire que l’envoyé de l’instruction publique n’était qu’une envoyée de l’instruction publique. Je vous prierai ce soir de m’expliquer un peu la chose et de me prouver clair comme le jour à quoi vous avez passé votre temps et avec qui. Je ne sais plus à présent quand je vous reverrai. Je commence à croire que ce sera en 1836. Toujours même plaisanterie. Mais ce qui n’est pas une plaisanterie, c’est votre conduite avec moi ; pour peu que vous continuiez sur ce pied-là, vous ne serez pas étonné que le Saint Esprit ne vienne à mon aide comme il le fit jadis pour une femme aussi chaste que je le suis maintenant. Ainsi, mon cher Toto-Joseph ou Joseph-Toto, ça m’est égal, vous acceptez la chose ainsi posée ? Vous n’y mettez aucun obstacle ? Songez qu’il vous sera très difficile de tuer le père de vos enfants, à moins que vous ne l’attrapiez au vol, ce qui est très chanceux. Pensez-y et venez de toute la vitesse de votre amour si vous en avez encore.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 230-231
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « geularde ».

Notes

[1Paroles d’une romance populaire anonyme en quatre couplets nommée « Oscar » : « Il va venir, le sultan que j’adore, / Ce seul espoir fait palpiter mon cœur, / Et dans ses bras, jusqu’au sein de l’aurore, / Je goûterai la coupe du bonheur. / Chantez enfants du rivage d’Asie, / Des mains d’Oscar j’ai reçu le mouchoir ; / Brûlez pour lui les parfums d’Arabie, / Oscar s’avance, Oscar, je vais le voir. » Victor Hugo utilisera cette romance dans Les Misérables (1862), première partie « Fantine », livre troisième « En l’année 1817 », deuxième chapitre « Double Quatuor » : « C’étaient quatre Oscars quelconques ; car à cette époque les Arthurs n’existaient pas encore. Brûlez pour lui les parfums d’Arabie, s’écriait la romance, Oscar s’avance, Oscar, je vais le voir ! ».

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