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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mars 1842

Lundi matin, 14a mars [1842], 10 h.

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon cher petit homme chéri. Je vais bien, mon amour, aux coliques près et aux douleurs d’estomac que j’attribue à une certaine époque [1] mais je vais très bien. Du reste, je n’ai toujours rien de nouveau et il est probable que je n’aurai rien d’ici au mois prochain. J’espère que le Triger se donnera son congé à lui-même aujourd’hui ? Sinon je serai forcée de le lui donner moi-même, ce qui est toujours ennuyeux et embarrassant [2].
C’est aujourd’hui, mon adoré, que je reprends mes anciennes habitudes. Ainsi ne vous étonnez pas de trouver ce soir double gribouillis au lieu d’un [3]. J’en suis fâchée pour vous, mais ma santé ne me permet pas moins, c’est affreux, c’est horrible mais c’est comme ça tant pire. N’est-ce pas, mon adoré petit homme, que lorsque tu ne viens pas ce n’est pas parce que tu ne veux pas ? Parce que tu crains de trouver une femme maussade et que tu n’aimes plus ? Mais bien parce que tu ne peux pas et que tu travailles, mais que tu me désires, que tu me plains et que tu m’aimes ? Depuis que tu m’as dit cette atroce chose j’ai eu bien des moments d’angoisse et de désespoir en y songeant chaque fois que tu ne venais pas, même à présent je souffre et j’ai toute la peine du monde à ne pas pleurer comme un enfant. Si tu savais mon Victor bien aimé comme je t’aime, comme je suis à toi, comme c’est bien vrai que tu es ma joie et ma vie, tu comprendrais combien ce mot méchant de toi peut me rendre la plus malheureuse des femmes et me tuer. Pardonne-moi cet excès d’amour qui t’importune quelque fois et laisse-moi t’adorer à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 159-160
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « 10 ». 


14 mars [1842], lundi soir, 5 h. ¾

Je vous écris sur ma table de mon appartement, dans mon fauteuil de mon mobilier, sur mon papier blanc de mon buvard, avec mon encre de mon encrier, dans ma plume grise dans ma main, de ma personne pour vous dire que vous êtes mon Toto bien aimé que je désire de tout mon âme et que j’attends de tout mon cœur. C’est moi qui ai fait votre tisanea aujourd’hui mon adoré et qui vous ai lavé vos petits linges. Je n’aurais pas tardé d’un jour, j’étais trop jalouse des affreuses mains de la servarde [4] et je suis sûre que votre tisanea ne devait pas vous faire du bien aux yeux tout le temps qu’elle a été faite par elle. Aujourd’hui je rentre dans mes droits [5]. D’ici à trois ou quatre jours, j’espère même les avoir repris TOUS sans en excepter UN SEUL. C’est ce SEUL-là surtout que je brûle de reprendre. Les autres telsb que déranger son linge, le raccommoderc, compter sa dépense, faire SON MÉNAGE, je n’y tiens que par raison mais celui dont je vous parle, j’y tiens par tous les coins de mon être intérieur et extérieur par la vie et par l’âme. Aussi n’espérez pas que je diffère plus longtemps à rentrer dans ce droit superbe de vous baiser, de vous caresser et de vous manger, ne l’espérez pas. J’ai vu la mère Triger et son chien tout à l’heure. Elle est repartie presque tout de suite. Je voudrais bien vous voir, mon amour, j’ai faim et soif de vous. Vous seriez bien gentil de vous apporter vous-même tout de suite, tout de suite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 161-162
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « telles ».
c) « racommoder ». 

Notes

[1Les règles.

[2Juliette a été malade au mois de février et est entrée en convalescence début mars. Le congé du docteur Triger vient du fait qu’elle est à la fin de son rétablissement et qu’elle se défie des médecins.

[3Juliette rédige habituellement deux lettres par jour à son amant, seulement depuis le début du mois de mars elle se limitait à un seul « gribouillis » à cause de sa santé encore fragile.

[4Suzanne.

[5Juliette, qui a été malade au mois de février et est entrée en convalescence début mars, finit enfin de se rétablir.

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