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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 octobre [1835], samedi, 3 h. après midi

Je suis geaiea, c’est-à-dire que je ne suis pas triste triste car enfin vous n’exigez pas que je sois bien joyeuse quand vous n’y êtes pas.
J’ai vu Mlle François il y a environ 1 h ½. Je l’ai trouvée comme à l’ordinaire, bonne et confiante. Je lui ai promis de lui donner une partie de mes appointements au mois d’avril prochain, ce qui a paru lui faire le plus grand plaisir. Elle a emportéb le schall [1] promettant de le rapporter jeudi prochain. Après quoi nous nous sommes séparées. Depuis, je me suis débarbouillée et peignée et habillée, puis je t’écris, et voilà l’emploi de mon temps. Quantc à l’emploi de mon cœur et de ma pensée, le voici : je vous ai aimé, je n’ai pensé qu’à vous et je vous ai désiré.
Mon mal de tête ne diminue pas sensiblement. Cependant il est moins fort que tantôt. Quand tu viendras, tu me trouveras moins abattue et beaucoup plus charmante que ce matin.
Il fait un très beau temps d’automne. Quel dommage que nous ne soyons pas lâchés tous deux sur une grande route folle même celle de Tracy-le-Haut [2]. Nous serionsd fameusement geais.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 11-12
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « geaie » est souligné deux fois.
b) « emportée ».
c) « quand ».
d) « Nous ne serions ».


17 octobre, samedi soir, 8 h. 20 m.

Venez bien vite, mon cher petit jaloux, pour que je vous baise et que je vous fasse honte de toutes vos bêtises. C’est que je ne suis palsampasbleu si bonne quand je m’y mets. Aussi venez bien vite pour que je baise vos jolies dents, que je vous tire le bout de votre nez et que je vous chatouille à toutes les places. Avec cela, que je suis furieuse de la manière dont vous vous êtes moqué de l’orthographe et de l’écriture de votre pauvre Juju. Quel malheur que je ne sache pas assez écrire. Je vous vexerais dans les journaux et je vous dirais vos vérités comme si vous étiez commissaire de police, prince ou seigneur. Mais c’est égal. Vous êtes passé de mode. Je vous le dis, moi. Ça donne pas de mauvais coup et ça soulage de vous dire un peu votre fait. Vous êtes passé de mode et vous avez souillé votre nom en l’accolant aux bénéfices mercantiles de votre libraire.
Han, han. En voilà des vérités, j’espère. Ça n’est pas ma faute si vous ne m’avez laissé aucune place vide pour les loges. C’est ce qui prouve encore plus la vérité de ce que je dis plus haut.
C’est égal. Je vous attends pour finir de vous confondre et fondre sous mes baisers.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 13-14.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Schall : châle (orthographe du XIXe siècle).

[2Tracy-le-Mont, ou Tracy-le-Haut, est une commune de l’Oise, situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Noyon où Victor et Juliette passèrent, le 19 août 1835, durant leur escapade amoureuse de l’été 35, comme en témoignent les notes de Hugo dans son carnet de voyage : « Souper et coucher dans une masure près de Tracy-le-Mont » (Correspondance familiale et écrits intimes, ouvrage cité, t. II, p. 633).

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