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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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a19 juillet [1839], vendredi matin, 11 h. ¼ b

Bonjour mon petit adoré, bonjour toi que j’aime, bonjour. Si l’encre et les mots pouvaient s’imprégner des émotions de l’âme, tu serais étonné de tout ce que contient la mienne d’adoration et d’admiration. Sois béni, mon adoré, pout tout le bien que tu fais. Je ne suis pas la REINE et cependant j’ai pleuré comme elle en lisant ces quatre admirables et généreux vers que tu as envoyésc pour sauver la vie de ce malheureux fou [1] ; mais aussi, si j’avais été le roi, j’aurais répondu moi-même au poète et cela de ma plus belle écriture et de mon plus grand cœur pour le remercier de m’avoir sacré roi dans la postérité. Oui, mon adoré, ces quatre sublimesd vers qui contiennent la vie d’un homme seront pour ce vieux Louis-Philippe ce que la sainte ampoule était pour les Clovis de toutes les races. Mon ignorance en chronologie historique ne me permet pas de suivre jusqu’au bout ma comparaison. Mais je sens qu’il y avait autre chose à faire à ce stupide Philippe qu’une lettre d’un secrétaire du cabinet en réponse au quatre plus généreux et plus admirables et plus royaux vers qui aient jamais été faits. Donne-moi tes petits pieds que je les baise. Tu n’as jamais été plus aimé ni plus adoré qu’à présent. Je te vois sublime et bon, grand et doux, royal et simple et je t’admire, et je te bénis et je t’aime.
Oubliee, mon Toto, l’accès de folle et injuste jalousie que j’ai eu hier. Jamais cela ne m’arrivera plus. Je suis si heureuse de la pensée d’avoir ton cher petit portrait, même pas très ressemblant, que tu dois comprendre l’amertume de mes regrets quand je pensais que je ne l’aurais pas. D’ailleurs il faut bien que je sois un petit peu méchante de temps en temps puisque c’est le RÉSIDU de trop d’amour qui s’en va par là.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 129-130
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « 1839 » est inscrit avant la date.
b) Une croix est inscrite entre la date et le corps de la lettre.
c) « envoyé ».
d) « sublime ».
e) « Oublies ».


a19 juillet [1839], vendredi soir, 6 h. ½

Six heures et demie et tu n’es pas encore venu, mon pauvre petit homme : que t’est-il donc arrivé ? Je suis toute triste et toute inquiète. Cependant s’il y a une providence dans le monde tu n’as rien à craindre, toi dont le génie et la vie sont nécessairesb à tout le monde. Aussi j’aime mieux croire que c’est ton cher petit portrait qui est la cause de ce retard. J’ai vu Mme Lebreton tantôt. La pauvre femme a pleuré chez moi et vraiment il y a de quoi si tout ce qu’elle dit est vrai, et je n’en doute pas, car elle a l’accent vrai et honnête qu’avait cette pauvre François. Aussi j’ai été pour elle pleine de compassion et je lui ai promis qu’aussitôt que j’aurais un engagement ou plutôt des appointements payés, je lui donnerais tout ce que je pourraisc. Elle est partie sur cette promesse, que je tiendrai si Dieu et les directeurs le permettent. Je souffre aujourd’hui de la matrice et des reins plus que je n’ai jamais souffert, c’est presque insupportable. Si cela ne se calmait pas d’ici à demain, je prendraisd bain sur bain car je n’y peux plus tenir. J’ai sur ma cheminée une lettre de Mme Krafft que je n’ai pas ouverte et qui t’attend. À propos de cette lettre je te disais que j’ai pris copie de ta réponse au sieur Fain [2]. Je doute que le Louis-Philippe en soit parfaitement ravi. Le vieux cuistre sent bien que dans toute cette affaire c’est toi qui es le roi et lui pas le poète. Je t’ai vu mon bon ange et me voilà plus tranquille. Je suis sûre que tu te portes bien et qu’il ne t’est rien arrivé de fâcheux. Aime-moi, pense à moi et tâche de revenir le plus tôte possible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 131-132
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « 1939 » est inscrit avant la date.
b) « est nécessaire ».
c) « pourrai ».
d) « prendrai ».
e) « plutôt ».

Notes

[1Le quatrain mentionné sera publié dans Les Rayons et les Ombres (1840) : Victor Hugo y demande la grâce de Barbès : « III, AU ROI LOUIS-PHILIPPE, APRÈS L’ARRÊT DE MORT PRONONCÉ LE 12 JUILLET [1839] 1839 / Par votre ange envolée ainsi qu’une colombe ! / Par ce royal enfant, doux et frêle roseau ! / Grâce encore une fois ! Grâce au nom de la tombe ! / Grâce au nom du berceau ! » (Pièce datée du « 12 juillet [1839]. Minuit. »)

[2Camille Fain, secrétaire de cabinet du roi Louis-Philippe, avait répondu à la lettre adressée par Hugo au roi pour demander la grâce de Barbès : « Neuilly, le 17 juillet 1839 / Monsieur,/ Le Roi avait résolu d’user de sa prérogative et de sauver la vie du condamné. Les touchants souvenirs si heureusement invoqués étaient bien propres à confirmer Sa Majesté dans l’intention que son cœur lui avait suggérée. Votre généreuse inspiration, monsieur, a donc atteint son but, et leurs Majestés m’ont chargé de vous dire combien Elles vous en savaient gré. » La lettre de Juliette Drouet permet de dater la réponse que lui adressa Hugo (ibid., p. 1143-1144), dont voici un extrait : « Le poids le plus imperceptible aide quelquefois à faire pencher la plus grande balance ; et précisément parce qu’elle est obscure, parce qu’elle est désintéressée, parce qu’elle est perdue dans la foule, la voix d’un passant qui encourage un Roi dans une bonne résolution peut avoir son utilité. »

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