22 juillet 1840

22 juillet [1840], mercredi après-midi, 1 h. ¼

Vous voilà parti, mon cher petit homme, et déjà vous ne pensez plus à moi. C’est tout simple avec les encensoirs, les courtisaneries^a et les adulations de toutes sortes, de tous genres et de tous sexes qui affluent chez vous et sur vous. Me voilà encore confinée pour toute la journée dans ma cage en proie au mal de tête et à la jalousie. C’est peu amusant. Enfin il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher^b, il faut bien que je veuille rester enfermée^c dans une^d chambre de douze pieds carrés par 20 degrés^e de chaleur puisque telle est ta volonté. Je viens d’écrire à M. de Barthès pour lui donner rendez-vous samedi de midi à 1 h. J’attends que tu voies^f sa lettre pour la mettre à la poste. À propos de poste il est probable que tu passes toutes tes journées sur la route de Saint-Prix [1] et que tu écris pour ce pays-là le reste du temps ? C’est probablement ce qui t’empêche de me faire sortir une fois par semaine. J’en suis sûre comme je suis sûre que je souffre et je donnerai tout au diable de bon cœur : la jalousie, l’amour et l’amoureuse. Voime, voime, beaucoup de plaisir. Je ne souhaite de mal à personne et encore moins d’aimer comme j’aime. Holà, là, là, là, j’aimerais mieux le choléra, la peste et la rogne si je pouvais choisir que l’affreux amour jaloux et inquiet dont je suis possédée. En attendant que le diable me délivre je souffre, j’enrage, je te désire et je t’attends. Jour Toto, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 47-48
Transcription de Chantal Brière

a) « courtisanneries ».
b) « empêché ».
c) « enfermer ».
d) « un ».
e) « degré ».
f) « voie ».