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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 novembre [1837], jeudi matin, 11 h.

Bonjour mon petit homme bien aimé. Comment vont tes pauvres yeux ce matin ? J’y ai pensé toute la nuit car je n’ai pas dormi, presque. À 4 h. du matin je n’avais pas encore fermé les yeux. J’ai pour me régayera [1] un mort dans la maison, en fait c’est le [5e  ?] en moins d’un an. De plus Mme Krafft est très malade d’un accès de fièvre cérébrale qui lui a pris dimanche. On espère grâce à la glace sur la tête et aux sinapismesb mis aux pieds que cela n’aura pas de suite fâcheuse mais cela n’en est pas moins inquiétant et fort triste. J’aurais voulu que tu puisses venir avant d’aller au Jardinc des plantes. J’ai besoin de te voir. J’ai la mort dans l’âme. J’ai pleuré toute la nuit. Je ne croyais pas que la lecture de l’époque de Marie Tudor me ferait autant de mal [2]. Enfin je n’ai pas dormi et je suis accablée de fatigue ce matin. Je compte sur ta présence adorée pour me redonner un peu de courage. J’en ai vraiment besoin. Si tu pouvais ne pas aller à Jacqueline [3], j’en serais bien contente, mais si tu ne peux pas faire autrement, tâche que cela ne se prolonge pas jusqu’à la nuit. Je t’aime mon Victor bien aimé. Je ne t’ai jamais plus aimé qu’à présent. Je sens mon cœur tout entier passer dans ce mot si doux, je t’aime. C’est que tu es bien plus que ma vie, tu es mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 85-86
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « régaier ».
b) « cinapismes ».
c) « aux jardins ».


23 novembre [1837], jeudi soir, 5 h.

Je ne t’en veux pas mon bien-aimé. Je suis triste seulement mais bien triste. Je crois que si tu n’avais pas eu l’attention si bonne de venir me voir un peu tantôt, j’aurais tant pleuré que je serais au lit probablement à présent. J’espère que je serai assez maîtresse de moi pour t’attendre avec patience. Je sais si bien qu’un visage triste repousse au lieu d’attirer. On en prend plus avec la joie qu’avec les pleurs [4]. Je le sais et je les cache le plus souvent que je peux. Il est même probable que j’aurai le courage d’être très bonne et très sûre quand tu viendras, ceci soit dit sans calemboura.
Tu as été bien bon tantôt en venant me voir un tout petit moment. Si courte qu’ait été ton apparition, elle a suffib pour calmer un gros orage qui menaçait de crever par mes yeux. Tu es encore plus avancé que l’astronomec Arago qui prévoit que dans quelque mille ans on pourra faire la pluie et le beau temps à volonté. Toi tu en es depuis longtemps arrivé là et sans beaucoup d’effort tu fais la pluie et le beau temps et le plus souvent la tempête dans mon pauvre cœur qui n’en peut mais. Il est vrai de dire que vous étiez déjà passé maître dans la théorie de la rosée [5], ce qui explique ce rapide progrès dans l’art de disposer des éléments qui composent le cœur d’une pauvre Juju comme moi. C’est ce qui fait que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 87-88
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « calembourg ».
b) « suffit ».
c) « astronôme ».

Notes

[1Régayer : égayer de nouveau, rendre la gaîté (Littré). En contexte, c’est ironique.

[2Juliette a passé en revue les journaux des années 1833 et 1834 (voir la lettre du 4 novembre). Elle avait le rôle de Jane dans Marie Tudor mais ne joua que le premier soir (7 novembre 1833). Elle fut remplacée dès le lendemain par Ida Ferrier, maîtresse de Dumas.

[3Allusion très probable au drame Pauvre mère, par Cornu et Augier, représenté pour la première fois au Théâtre de la Gaîté le 11 novembre 1837, dans lequel Melle Mélanie tenait le rôle de Jacqueline, « Marchande de cerises de Montmorency ».

[4Phrase tirée d’une réplique de Phœbus dans La Esmeralda (I, 2).

[5Le 17 août 1818, Victor avait obtenu le 5e accessit de physique au Concours général, pour un sujet traitant de la « théorie de la rosée ».

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