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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 novembre [1837], samedi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon cher petit homme, bonjour. Tu travailles donc toujours ? Je ne t’aurai donc plus jamais le matin ? C’est bien triste. Je ne veux pas cependant commencer ma journée par me plaindre. Je ne veux pas te blaser et t’ennuyera de mes doléances continuelles. C’est bien assez de les ressentir sans t’en corner les oreilles. Il fait bien beau temps pour aller au bois, on y va deux on revient TROIS [1] et même davantage. Non mais délicieuse plaisanterie à part, il fait bien vilain pour loger du bois. Il est vrai que j’ai de quoi passer la journée d’aujourd’hui mais demain par exemple nous fermerons hermétiquement la cheminée si nous ne nous décidons pas à faire notre provision aujourd’hui. Il est encore vrai que je pourrais aller une fois chez Mme Pierceau sur ces deux jours ce qui rétablirait l’équilibre et nous permettraitb d’attendre jusqu’à lundi qu’il ait plu encore davantage. Voilà bien des paroles pour si peu de soirs de bois.
Jour mon cher petit o. Jour je t’aime. J’ai rêvé de vous toute la nuit. J’ai plus de profit à dormir qu’à veiller puisque je vous ai plus souvent en rêve qu’en réalité. Avouez que vous êtes un bien méchant petit homme et un fier scélérat À MENIN, À YPRES [2], etc., etc. Si je vous n’y [3] prends encore, sapeur [4], je vous donnerai une fameuse venette [5]. En attendant je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 39-40
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « ennuier ».
b) « permettrais ».


11 novembre [1837], samedi soir, 9 h. ¼

Mon petit bien-aimé. J’espère que vous êtes bien sagement à travailler dans le quartier. Je suis presque fâchée de vous avoir laissé aller sans exiger de vous votre parole d’honneur que vous n’irez dans aucun théâtre ce soir. Cependant mon cher petit homme chéri, je vous crois incapable de la plus petite trahison. Mon Dieu mon Toto que tu étais joli tantôt. Plus j’y pense et plus je me repens de t’avoir laissé aller.
J’ai vu à l’air de Mme Pierceau que le Théâtre-Français était bien penauda et bien fâché d’avoir entamé la fameuse affaire [6]. Les gredins s’en aperçoiventb à présent. Aussi j’espère que tu les en feras souvenir longtemps et qu’il leur en cuira la ri ra [7]. Soir mon petit o. Je vous le répète vous étiez bien joli aujourd’hui et bien inquiétant surtout par le temps qui court [8]. Je ne serai tranquille que lorsque vous serez revenu et que je vous aurais baisé partout. Tâchez que je n’attende pas trop longtemps. J’ai bien besoin de bonheur mon Toto. Il y a bien longtemps que vous ne m’en avez donné. Si vous étiez bien gentil, vous viendriez déjeuner avec moi cette nuit. Je serais bien contente et peut-être vous aussi. Je t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 41-42
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « penau ».
b) « apperçoivent ».

Notes

[1Vers extrait d’une chanson folklorique, souvent repris dans les airs de vaudevilles.

[2Villes de Belgique où Juliette et Victor sont allés les 26-27 août. L’allusion reste à élucider.

[3La forme négative fautive est volontaire pour imiter le parler campagnard.

[4« Homme qui ne respecte rien, — dans l’argot des bourgeoises, qui n’aiment pas les gens barbus » (Dictionnaire de la langue verte, Paris, Dentu, 1867).

[5« Venette » : Peur, inquiétude, alarme.

[6Allusion au procès en cours, intenté à la Comédie-Française par Hugo.

[7Formule moqueuse pour imiter la rime des refrains populaires.

[8Juliette Drouet utilise le singulier. La lecture n’est pas douteuse. 

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