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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 septembre [1836], samedi après-midi, 4 h.

J’espère que j’y ai mis assez de longanimité. Voici plus de 9 h. que je vous attends. Après ce qui venait de se passer entre nous, j’avais le droit d’espérer que vous ne me pousseriez pas à bout par une espèce de dépit tacite. Hé bien. Puisque vous le voulez. J’irai devant moi et comme je l’entendrai. Depuis bientôt quatre ans que votre amour s’est éboulé sur moi, je suis dans une position à ne pouvoir ni me remuer ni respirer. Ma foi au risque d’être enseveliea sous les décombres de notre liaison je fais un effort violent pour en sortir. Je vais chercher ma fille de ce pas. Si je ne vous trouve pas chez moi quand je rentrerai ou si je n’y trouve pas une lettre en bons termes pour me faire attendre, je ressortirai immédiatement et j’irai chez mes AMIES. Il ne tenait qu’à vous de me donner plus de confiance. Il ne tenait qu’à vous de faire que cet incident insignifiant en lui-même devînt une occasion d’affection et de confiance. Vous ne l’avez pas voulu, vous ne le voulez pas encore. Hé bien je vous le répète je ferai tout ce que votre rigorisme absurde, tout ce que votre inquisition ombrageuse me force de faire. Je me ferai maîtresse de moi et de mes actions en tant qu’ellesb ne porteront pas atteinte à vos droits [d’amant  ?].
Je vais chercher ma fille en cabriolet. Si je ne vous trouve pas à mon retour ou si je ne retrouve pas une lettre de vous, je me croirai plus que jamais autorisée à faire tout ce que je voudrai pour me rendre libre à tout jamais d’un esclavage qui ne satisfait ni le cœur ni l’esprit ni l’honneur ni le repos de l’un et de l’autre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 332-335
Transcription de Nicole Savy

a) « enseveli ».
b) « elle ».


[17 septembre 1836], 214 [1], 6 h. moins 20 m.

Je n’achève pas ta bonne lettre. Elle est à se mettre à genoux devant. Non je ne te trompe pas, non non, mille fois non. C’est bien vrai mon Dieu c’est bien vrai. J’ai peut-être un peu de défiance de toi quand il s’agit de mes [illis.]. Mais il ne tient qu’à toi que je n’ena aie plus. Mais si au lieu de prendre un air sévère et fâché tantôt, tu m’avais dit une de ces bonnes paroles que je viens de lire dans ta lettre, mais je me serais jetée à l’instant dans tes bras, mais je t’aurais remercié de ton indulgence et de ta bonté. Vois-tu mon pauvre ange j’ai une nature rétive qui s’effraie et se cabre devant l’exigence et la menace, mais qui plie et se soumet devant la bonté et l’indulgence. Je ne te trompe pas, je ne t’ai jamais trompé depuis le jour où j’ai accepté ton dévouement de tous les jours et de tous les moments. Je t’aime, je t’adore, je suis à tes pieds, prends-moi avec bonté, sinon avec confiance [2].

[Adresse]
Pour Victor
4 h. vingt minutes
cabriolet 556 -------

BnF, Mss, NAF 16327, f. 364
Transcription de Nicole Savy

a) « aie » répété par mégarde.
b) Adresse insérée après le f. 335.


6 h. moins 20 [3]

Il m’est arrivé une aventure. Partiea avec le numéro 556 je crois, je suis revenue avec le no 214. Arrivé au pont du Quai aux fleurs, le cocher m’a déclaré ne pouvoir aller plus loin à cause de son cheval, qu’il allait faire rentrer parce qu’il n’allait pas (disait-il) et qu’il n’avait pas voulu boire ni manger de la journée. Force m’a été d’en prendre un autre au pont. Je l’ai eu une heure dix minutes à sa montre. Je lui ai donné 1 F. 18 sous. Il va sans dire que je n’ai pas payé l’autre cocher. Tu vois mon pauvre ange que je n’ai pas été bien servieb par le hasardc puisque j’avais tout fait pour que tu n’aies aucun doute sur l’emploi de mon temps. Tout ce que je te dis est pourtant la vérité et je t’aime, et je t’aime du fond de mon cœur.
Je vais achever de lire ta bonne lettre, elle me rendra tout à fait repentante et soumise. Merci mon amour, merci ma joie. Merci tu es noble toi, tu es généreux toi, et tu n’es pas fou comme moi.

Juliette

Je viens de l’achever ta bonne lettre adorée. Est-ce que je te trompe moi ? Ah ! bien oui. N’aie pas peur va, je t’aime trop.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 362-363
Transcription de Nicole Savy

a) « Parti ».
b) « servi ».
c) « hazard ».


17 septembre [1836], samedi soir, [11  ?] h.

Je ne voulais pas t’écrire, mon cher bien-aimé, pendant que j’avais les yeux pleins de larmes et l’esprit à l’envers. J’ai occupé tout ce temps-là à faire de la cuisine et à raccommoder nos chaussettes et mes bas. Maintenant que j’ai fini de coudre, je voudrais bien aussi finir d’être triste et désolée. Malheureusement cela ne peut pas se faire sans toi. Il faut que je te voie, il faut que je te serre dans les bras, il faut que je te demande pardon quel que soit celui des deux qui aita tort, et je suis très disposée à croire que c’est moi. Il faut que je te voie me sourire avec joie et amour, il faut que je t’entende me pardonner sans restriction. Tu vois bien que je ne peux pas faire tout cela sans toi et que j’ai raison d’être bien triste et d’avoir bien du chagrin.
Pauvre cher adoré, tu travailles et pour moi encore. Je serais vraiment un bien grand monstre, si je n’étais pas la plus violente et la plus emportée des femmes pour te tourmenter dans un moment comme celui-cib et même à tous les moments qui devraient m’être sacrés.
Je tremble que tu ne viennesc pas ce soir. Dans ces cas-là permets-moi de pleurer tout mon soûl car je serai bien malheureuse.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 336-337
Transcription de Nicole Savy

a) « est ».
b) « celui ».

Notes

[1Il s’agit d’un numéro de cabriolet.

[2Ce billet, sans date mais qui fait évidemment suite au projet de fuite de Juliette, est classé par erreur entre les 27 et 28 septembre dans le registre de la BNF, et après le billet suivant qui semble postérieur à celui-ci.

[3Suite du récit de la fuite en cabriolet de Juliette, mal classée. L’heure a été ajoutée d’une autre main.

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