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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mars 1840

8 mars [1840] [1], dimanche, midi ¾

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon amour de petit homme. Je t’aime mon Victor bien-aimé. Comment vas-tu ce matin ? Je n’ose pas pousser plus loin mes investigations car je sais que cela te fâche et te faita du mal, à ce que tu dis, et que je ne veux pas t’en faire. Quel guignon de n’avoir pas pu jouerb MARION [2] aujourd’hui ! Non seulement c’était une recette assurée mais cela en semait une quantité d’autres pour l’avenir parce que ce bon public du dimanche SE LE DIT. Le diantre soit de Mme DORVAL et de son enrouement. Si vous aviez voulu, mon Toto, je l’aurais remplacée et je ne vous aurais pas nui car c’est un des rôles que je sens le mieux. Je vois bien que vous n’avez aucune confiance en moi et qu’il me faudra aller chercher dans un autre pays l’appui qu’on me refuse dans celui-ci. J’y suis bien résolue, je veux gagner ma vie moi-même et comme je n’ai pas d’autre état que celui-là force me sera bien de prendre le triste parti de l’aller exercer ailleurs puisque icic cela paraît impossible. Je prends mon courage à deux mains pour te cacher l’affreux chagrin que j’ai en pensant à cinq ans de perdu ! Mais il faut que je tâche de réparer ce malheur s’il en est encore temps. Je t’aime, je t’aime, je baise ta belle bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 244-245
Transcription de Chantal Brière

a) « fais ».
b) « joué ».
c) « puisqu’ici ».


8 mars [1840] dimanche après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon adoré. Bonjour ma vie, bonjour ma joie, bonjour toi. Pourquoi n’es-tu pas venu cette nuit, mon Toto chéri ? C’est cependant aujourd’hui dimanche et tu m’avais lu de si beaux vers hier que tout mon cœur avait refleuri sans attendre les feuilles des bois. Mon Dieu que j’aurais été heureuse si tu avais pu revenir cette nuit et que je le serais à présent si tu pouvais venir tout de suite. J’ai toute mon âme dans mes yeux pour te voir et tout mon cœur sur mes lèvres pour le fondre sur les tiennes. Je me suis occupée de toi toute la matinée : faire ton eau pour tes yeux et ta boisson ; tout cela est prêt et bien arrangé, c’est très i. À propos le petit Mignon vient de venir, je lui ai donné les 20 F., j’ai toujours l’argent de Chappelle et je viens de donner à Suzanne les 5 F. d’hier. Demain ce sera son mois et le blanchisseur. Pauvre bien-aimé, je ne sais pas où tu prendras tout cela, je n’ose pas y penser parce que cela me rend triste et malheureuse plus que je ne puis dire. Je veux oublier que tu te tuesa pour moi. Aussi, mon bon petit homme, apporte-moi de la copie à force, je suis riche et insouciante de tout quand je lis tes beaux vers, je ne pense plus à rien : j’admire et j’adore. Apporte-moi si tu y pensesb le livre d’Esquiros [3] mais surtout viens, viens, viens car j’ai faim et soif de toi. Je voudrais te baiser et te baiser encore. Tu es mon cher petit homme ravissant et que j’aime plus que de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 246-247
Transcription de Chantal Brière

a) « tue ».
b) « pense ».


8 mars [1840], dimanche après-midi, 4 h. ½

J’espère, mon bon petit homme, que vous ne m’aurez pas fait faire de la tisanea pour rien et que vous allez en venir boire des bons coups ? Baisez-moi tout en marchant, je le sentirai d’ici et j’y répondrai en vous envoyant mon âme. Quel beau temps encore aujourd’hui, quel dommage que tu ne sois pas libre de ton temps, nous sortirions ensemble, comme autrefois, te souviens-tu de nos promenades quotidiennes si longues et si charmantes ? Je voudrais y être encore, je vais joliment me dépêcher d’être prête tous les jours pour attraperb de temps en temps quelques réminiscences du temps passé. Mon Dieu que je t’aime, mon Toto, je ne sais pas pourquoi je cherche à dire la même chose avec d’autres mots que celui-ci, le seul qui exprime ce que j’ai dans la pensée et dans le cœur : JE T’AIME. Tout le reste c’est du remplissage, je t’aime voilà le corps et le détail de tous les gribouillis que je te fais soir et matin toute l’année. Je ne sais pas si Mme Pierceau viendra aujourd’hui. Mme Triger avait dit à la bonne que peut-être elle viendrait dimanche. Dans tous les cas je suis là pour les recevoir. Je voudrais que tu m’eussesc apporté à copier pour mon DIMANCHE, je suis si heureuse de fourrer mon museau dans cette ravissante poésie que je vendrais mon âme si elle ne t’appartenait pas déjà pour ce bonheur-là.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 248-249
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».
b) « attrapper ».
c) « m’eusse ».

Notes

[1Ambiguïté de la datation. La lettre, où ne figure aucun millésime come pour toutes les lettres d’avant l’exil, est classée dans le fichier de 1840. Sous la date figure l’inscription suivante : « 1839 et non 1840 », or la lettre évoque la reprise de Marion de Lorme qui a eu lieu en mars 1838 au Théâtre-Français avec Marie Dorval. Par ailleurs cette lettre montre bien que Juliette n’a pas encore renoncé à sa carrière de comédienne, ce qui ne sera plus le cas en 1840. Elle évoque aussi une inactivité en tant que comédienne durant depuis 5 ans (or Juliette a chuté dans le rôle de Jane en 1833 et n’a pas rejoué ensuite). À supposer que la lettre date de 1838, elle comblerait une lacune (il n’y a pas d’autre lettre conservée dans d’autres lieux, au moment où nous écrivons ces lignes, et à notre connaissance, pour le 8 mars 1838). Reste à vérifier si la première de Marion de Lorme lors de la reprise connue comme étant celle du 8 mars 1838 a bien été annulée pour cause d’enrouement de Marie Dorval. Cela voudrait dire aussi que Juliette s’est trompée dans le jour ou le quantième, puisque le 8 mars 1838 ne tombait pas un dimanche. Si la lettre date bien du dimanche 8 mars 1840, cela signifie que la reprise de Marion de Lorme (Juliette ira voir la pièce à la fin du mois) a été retardée.

[2Marion de Lorme.

[3Henri François Alphonse Esquiros (1812-1876), auteur d’un recueil de poèmes, Les Hirondelles, dont une pièce a pour titre « À Victor Hugo ». Il est aussi l’auteur de deux romans : Le Magicien (1837) et Charlotte Corday (1840).

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