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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 8 octobre 1852, vendredi midi

J’étais encore bien souffrante ce matin quand tu es venu, mais depuis que je t’ai vu je ne sens presque plus mon mal. Ce n’est pas la première fois, mon cher adoré, que ta présence produit sur moi cet effet miraculeux. Je pourrais dire même que c’est chaque fois car il me semble que je ne vis réellement que lorsque tu es là. Je te l’ai déjà dit et je te le répète avec reconnaissance et avec bonheur. Je suis heureuse de savoir que ma santé et ma vie dépendent de toi. Le jour où je te serai importune, je mourrai tout naturellement parce que ton amour me manquera. En attendant, je vis pour t’aimer et pour te bénir. J’ai parlé à ma propriétaire [1] et je lui ai dit combien j’étais fâchée de la perte de son pauvre chien, surtout parce que je croyais en être la cause indirecte par la stupidité de Suzanne. Mais elle s’est empressée de m’ôter ce remords en m’assurant que notre timbre-poste ne l’aurait pas dispensée d’aller à la ville porter sa lettre à la poste. Du reste elle est bien marriea de cette perte surtout pour son mari qui ne l’aurait pas pardonnéeb pour cinq louis. Elle est retournée hier deux fois à Saint-Hélier à douze heures de la nuit dans l’espoir de retrouver son toutou. Elle a chargé des gens de la ville qu’elle connaît de s’en informer. Enfin, cette pauvre bête aura eu tous les honneurs de la plus vive sollicitude et des plus sincères regrets. Que ceci vous serve d’exemple le jour où vous me perdrez. En attendant je continue d’être plus que jamais votre pauvre FAIDELE [2] Juju dans sa niche.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 29-30
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « marri ».
b) « pardonné ».


Jersey, 8 octobre, vendredi après-midi, 1 h. ¾

Je serais très femme à profiter d’une bonne petite promenade à travers champs si vous me l’offriez. Mais vous n’êtes pas si bête de me mettre ce marché aux jambes quand vous me savez si bien disposée. Aussi je me résigne à rester auprès de mon feu, trop heureuse si vous venez vous y chauffer dans mon unique fauteuil. À propos de fauteuil, il paraît que ma GRISI [3] avait compris que c’était son mari qui ferait la cour à Suzanne. C’est pour cela qu’elle m’avait répondu avec tant d’à-proposa qu’elle n’était pas jalouse. Mais Suzanne peu habituée à ce genre de supposition s’est empressée de rétablir le vrai texte en lui faisant l’honneur de votre galanterie. Tout ceci jusqu’à présent n’a pas encore aboutib à un second fauteuil mais nous savons qu’avec l’IMPATIENCE ON VIENT À BOUT DE TOUT, voirec même de se fatiguer les reins sur ces sièges jersiais. Ne vous plaignez pas de ma rédaction rébus car c’est vous qui m’avez enseigné cette littérature coq-à-l’âne, pot-pourri et singe-frit.
Je viens de voir passer vos deux fils en compagnie de la moribonde, laquelle était suivie d’une camériste de bonne maison portant le manteau de l’agonisante [4]. Laquelle agonisante m’a l’air d’une gaillarde fort solide et fort capable d’en manger dix comme le jeune Victor [5] dans la même bouchée. Il m’a paru à vols de cocottes que la Marton n’était point trop dégoûtante et pouvait en CAS servir à tout et bien autre chose. Ce cancan une fois papouilléd du bout de mon bec de fer, je vous supplie de venir me voir si vous n’avez pas de rendez-vous pris avec ces jeunes amoureux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 30-31
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « d’apropos »
b) « aboutit »
c) « voir »
d) « papouillez »

Notes

[1Propriétaire de l’auberge Green Pigeon où Juliette loue un petit appartement au premier étage.

[2Jeu de mots sur « fidèle » et le nom du chien des propriétaires, Faidèle.

[3Grisi est le patronyme d’une danseuse et de de deux cantatrices italiennes de grande renommée dans la première moitié du XIXe siècle.

[4À élucider.

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