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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 6 octobre 1852, mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon doux amour, bonjour. J’ai eu mes petites aventures hier au soir. D’aborda une pluie grêlée à triple courant d’air. Puis un embarras de charrettes en sens inverseb, entre lequel je me suis trouvée, ne sachant à laquelle donner la préférence pour me faire écraser. Puis enfin un énorme LOUP GAROU jersiais, lequel m’a fait prendre mes jambes à mon cou jusqu’à la maison du Français [1]. Tu vois que rien n’a manqué à mes impressions de voyage, si ce n’est le jambon d’ours, qu’à la rigueur ma timide [illis.] de mouton pouvait remplacer. Je me suis séchée en hâte et puis j’ai soupé comme si de rien n’était, me promettant de recommencer aujourd’hui cette expédition périlleuse et de la continuer jusqu’à extinction de bravoure et de jambes. En attendant je suis très vexée parce que voilà la pluie qui reprend son tic avec une nouvelle intensité. Ce qui t’empêchera probablement de venir et, ce qui est aussi pire, qui t’enrhumera. Mais aussi pourquoi ne pas acheter tout de suite ton caoutchouc [2] ? Quel obstacle y-a-t-il à ce que tu te garantissesc le plus tôt possible contre les déluges de rhumatisme et de sciatiques qui tombent en cataractes serrées des urnes du bon Dieu ? Quant à moi, je n’en vois aucun si ce n’est ta paresse invincible pour touted espèce d’[action ?]. J’en excepte celle de chercher un encrier jusque sous les jupons des femmes. Taisez-vous, vilain sale, et couvrez-vous tout de suite, je vous l’ordonne. Êtes-vous allé à votre réunion hier au soir ? À quelle heure en êtes-vous revenu ? Étiez-vous seul ? Vous me direz tout cela quand je vous verrai. Mais quand vous verrai-je ? Dieu et le baromètre le savent et moi je continue de vous adorer.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 21-22
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « dabord ».
b) « en sens invers ».
c) « garantisse ».
d) « tout ».


Jersey, 6 octobre 1852, mercredi midi

Ce serait bien le moins, mon cher petit homme, que tu me fasses profiter de ton courage à braver le vent et la pluie en venant un peu plus tôt chez moi et en y restant un peu plus tard. Jusqu’à présent je vois que tu t’exposesa beaucoup pour trop peu de profit pour moi. Il faudraitb aviser à régler cela un peu plus avantageusement pour moi. Très sérieusement, mon doux adoré, puisque tu prends la peine de venir par ce temps de Ponto [3], il faut au moins que ce soit pour plus d’une minute. Autrement ce n’est qu’un regret de plus ajouté à l’inquiétude de te savoir exposé à toutes les avanies de la saison. Du reste, mon cher petit homme, je ne serai tranquille que lorsque tu seras imperméable, au physique et au moral. Jusque-là je me permets de trembler pour ta chère petite carcasse et pour mon bonheur qui y est si fortement attaché.
Dites donc, mon cher petit homme, je vous trouve bien discret sur votre courrier d’aujourd’hui. Il me semble pourtant qu’il ne vous en aurait pas plus coûtéc de m’apporter toutes vos lettres qu’une seule. Cette manière de me trier votre correspondance me déplaît plus qu’elle ne me fait plaisir et j’aimeraisd beaucoup mieux rien que cette confiance dérisoire. Je te le dis très sérieusement, mon amour, parce qu’au fond je suis jalouse et humiliée. Si tu crois devoir me cacher une partie de tes relations, il serait plus simple et moins blessant de me les supprimer toutes. De cette façon, je n’éprouverai pas de désappointements mortifiants au moment où je crois le plus à ton expansion. Tout cela sans la moindre humeur, mon cher adoré, et en espérant que tu ne me caches rien de ce qui intéresse notre [illis.]

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 23-24
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « t’expose ».
b) « faudrai ».
c) « coûter ».
d) « aimerai ».

Notes

[1À élucider.

[2Hugo pense s’acheter un imperméable Mackintosh.

[3Jeu de mots sur « temps de chien » puisque le chien de Victor Hugo s’appelle Ponto.

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