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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 17 novembre 1852, mercredi matin, 8 h.

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour avec tout ce que j’ai de plus doux, de plus confiant, de plus tendre dans le cœur. Bonjour je t’adore depuis un bout de ma vie jusqu’à l’autre. Si tu dors, je te baise en rêve. Si tu es éveillé je te baise dans le plus stricte réalité. Voilà un soleil qui ne flaire pas baume pour tantôt. Aussi, je me dépêche d’en profiter en ouvrant toutes mes fenêtres, car je prévois une averse un peu soignée d’ici à un moment. Cela me serait à peu près égal si je ne savais pas, que pour venir me trouver, il faut que tu t’exposes à ces affreuses pluies sterlings. Du reste je m’habitue à vivre assez bien dans un milieu de poissons rouges et si je pouvais t’avoir toujours auprès de moi ou au moins ce qui est presque toi, ta pensée et ton génie, je ne m’apercevrais pas du temps qu’il fait dehors. Me sentir près de toi d’une façon quelconque me rend la plus heureuse des femmes. Toutes les choses extérieures qui n’ont pas toi pour souvenir ou pour espoir me sont parfaitement indifférentes. Et si je désire parfois un être humain à qui parler c’est pour soulager mon cœur du trop-plein de mon amour. Du reste, mon bien-aimé, je ne regrette rien, je ne désire rien au monde en dehors de toi et de ton amour. Tu en es bien convaincu, n’est-ce pas ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 171-172
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 17 novembre 1852, mercredi matin, 11 h.

Ce serait bien le moment de venir, mon cher petit homme, car je te désire de toutes mes forces et le soleil reluit pour quelques instants. Tu serais bien gentil de m’apporter de l’ouvrage en même temps. Celui que j’ai à faire pour moi n’est rien moins qu’amusant et je ne suis jamais pressée de le faire. Ce n’est pas comme le vôtre, dès que j’en tiens je ne le quitte qu’à la dernière syllabe, à mon grand regret. Pauvre adoré, je te dis toujours la même chose à satiété. Les mêmes marées d’amour amènent les mêmes flots d’expression, les mêmes vagues de mots. Ma pensée va de mon cœur à toi et de toi à mon cœur avec une régularité monotone dont mon pauvre petit esprit ne peut rompre l’uniformité. Ce n’est pas de ma faute si je suis tellement absorbée dans mon amour que je ne vois rien au-delà ni en deçà. Je ne le regretterais même pas si je ne craignais de t’ennuyer et de te paraître insipide au suprême degré. Après cela, c’est toi qui l’a voulu et qui le veut encore. Ne t’en prends donc qu’à toi-même de ce suprême embêtement que je te distribue à petites doses deux fois par jour. Encore si cela pouvait remplacer le bicarbonate et te faire le même bien que ce que je m’ingurgite avec de si affreuses grimaces, ce ne serait que demi-mal et je n’y aurais aucun scrupule. Autrement je te plains autant que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 173-174
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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