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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 23 août 1852, lundi, 7 h. ½

Bonjour, mon sourire, bonjour, mes larmes, bonjour, ma joie, bonjour, ma tristesse, bonjour, mon bonheur, bonjour, mon amour, bonjour, ma vie, bonjour, mon âme, bonjour, mon ciel et mon paradis, bonjour. Grâce à notre douce petite promenade d’hier au soir j’ai passé une bonne nuit. Aussi je suis calme et reposée ce matin et je me hâte d’en profiter pour effacer les méchantes choses que je t’ai écrites hier dans un accès d’insomnie et de découragement. J’aurais voulu pouvoir te les reprendre avant que tu ne les aies lues. Malheureusement tu t’en étais emparéa sur ma table en entrant chez moi. Oublie-les, mon doux bien aimé, oublie tout ce que l’injustice et la jalousie te disent par ma bouche ou par ma plume. Ne te souviens que des paroles de tendresse et d’amour qui sont les seules vraies, toujours. Et puis, mon bien-aimé, tâche de venir travailler auprès de moi le plus que tu pourras. Pourvu que je te voie et que je te sente vivre à côté de moi je suis heureuse. N’oublie pas que tu dois aller au théâtre ce soir pour me donner quelques instants de plus dans la journée. En attendant je te promets de regarder par dessus ton mur les baigneuses plus ou moins nues qui pullulent à l’heure qu’il est dans toute la baie d’Azette [1]. Dans ce moment-ci il y a sur la grève une cavalcade fort occupée à courir d’un cul à l’autre, n’en voulant pas perdre un centimètre de chacun. Du reste, je ne sais pas à quoi cela tient, mais je n’en aib jamais tant vu que ce matin. On dirait que toutes les femelles de l’île se sont donné rendez-vous devant mes fenêtres. Ajoutes-y la garnison toutc entière qui se baigne à la pointe de droite et tu verras que le paysage ne manque pas d’animation. Je ne te dirai pas : pends-toi brave Toto. Nous avons ici toutes les nudités et tu n’y étais pas car je suppose que ta vue n’est pas moins favorisée que la nôtre AU CONTRAIRE. Mais je te dirai de prendre garde à tes yeux que je t’arracherai probablement pour le trop bon usage qu’ils en font. Méfie-toi Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 233-234
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « emparées ».
b) « n’en n’ai ».
c) « tout ».


Jersey, 23 août 1852, lundi après-midi, 2 h.

J’envoie ma pensée au devant de toi, mon amour béni, tu la trouveras dans le flot qui murmure son doux bruit en te voyant passer, dans le papillon qui danse joyeusement autour de toi, dans la fleur coquette qui guette ton regard, dans l’arbre qui se penche avec une admiration curieuse vers toi et dans le rayon du soleil qui te caresse amoureusement. Ne t’attarde pas trop avec elle car il n’est pas de jour ni de bonheur pour moi sans toi. Songe que je ne pourrai pas te revoir ce soir et que probablement ton fils et Paul Meurice arriveront demain, ce qui prendra tout ton temps au moins les deux ou trois premiers jours. Et puis, mon Victor, si tu ne peux pas venir, si des obstacles sérieux s’y opposent je te promets d’avance de ne pas en accuser ton cœur et de mettre tout mon courage et toute ma résignation au service de la nécessité maussade qui me séparera de toi. En attendant, je t’espère et je prends patience avec le souvenir des doux et ineffables moments de bonheur que tu m’as donnés hier au soir et ce matin. Je te sourirai de loin si je te vois passer en traîneau car j’ai besoin de ta joie pour être tout à fait heureuse. Ainsi, mon cher petit homme, ne te fais aucun scrupule d’user de la barque de Rose [2] voire même de sa longue vue surtout si elle ne t’empêche pas de voir dans mon cœur, dont tu es la vie et dans mon âme, dont tu es le bonheur. Amuse-toi, mon pauvre doux bien aimé, tâche seulement que ce ne soit pas aux dépensa de ta fidélité, c’est-à-dire aux dépens de ma vie. Il fait un temps ravissant. Si je savais où aller pour te voir passer j’irai pour réjouir mes yeux et mon âme sous ce beau soleil du bon Dieu. Malheureusement je ne sais pas où vous êtes ce qui me force à vous attendre derrière mes persiennes, ce qui est assez bête vu l’heure et le temps. Mais je ne m’en plaindrai pas si tu viens. Et même je te le répète encore je ne m’en plaindrai pas si tu ne peux pas venir parce que j’ai du bonheur de reste depuis hier au soir et ce matin. Cela ne m’empêche pas d’en désirer bien davantage parce que je suis une vieille gouliaffe mais cela me permet d’attendre sans trop d’ennui et de tristesse et puis tu es mon doux adoré que je bénis et que j’admire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 235-236
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « au dépend ».

Notes

[1Baie d’Azette : Marine-Terrace donne sur la longue plage de la baie d’Azette, qui découvre à marée basse de nombreux rochers.

[2Nom du propriétaire de Marine-Terrace dont la famille occupe une partie de la maison.

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