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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mai 1852

Bruxelles, 10 mai 1852, lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon petit homme, bonjour, et bonheur à toi que j’aime, bonjour, sois heureux, je t’adore. J’aurais bien désiré être des vôtres, mercredi, mais puisque cela ne se peut pas amuse toi pour deux, mon bien aimé, afin que ma part de plaisir ne soit pas perdue [1]. Tâche aussi de me donner une fiche de compensation d’ici-là en me faisant sortir en peu plus longtemps que de coutume. Songe qu’avec les deux jours de Dumas, le voyage d’Anvers et les Bourbon plus ou moins redoublés de De Brouckère mes jours seront plus filés d’ennui et de tristesse que de soie et d’or. Je ne te parle pas de toutes les bonnes promesses de voyage que tu m’avais faites et qui ne se réaliseront pas, je le crains trop. Mais, mon pauvre bien aimé, il y a bien des instants que tu pourrais dérober aux curieux et aux désœuvrés pour en faire la joie et le bonheur de ma vie. Cet éternel rabâchage, je le recommence tous les jours avec la même persévérance et la même [fureur  ?] que Sisyphea et son caillou, ce qui ne me décourage pas AU CONTRAIRE. Le jour où je cesserai de te désirer, c’est que je serai morte dans le ventre et dans le ciel comme le pigeon du jeune Toto. D’ici-là, je continue de vous aimer, de vous espérer, de vous désirer et de vous adorer à l’infinitif et à l’infini ; baisez moi et venez tout de suite si vous l’osez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 11-12
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « Sysiphe ».


Bruxelles, 10 mai 1852, lundi matin, 11 h. ½

Quelle belle journée, mon petit homme, et quelle joie ce serait d’en profiter tous les deux bras dessus bras-dessous à Saint Josse-Ten-Noodea [2] ou ailleurs. J’envoie Suzanne chez toi avec mission, si tu en es d’accord, de te prier de venir me chercher de bonne heure si tu peux. En attendant je fais force de voiles et de rames pour copire le plus possible afin de n’être pas en retard vis à vis de toi. Tout à l’heure je vais m’y mettre d’arrache plume. Justement, je me porte assez bien et mon vieux mort est parti, ce qui me permet de respirer un peu mieux, aussi je vais en abattre de ces petites pattes de mouches. Quelle ravissante surprise si tu pouvais passer avec moi, dîner et le RESTE. Mais ce n’est guère probable avec la vie d’anachorète du jeune Charlot. Je n’y compte pas, je me borne à le désirer dans le vague de l’impossible. Quand je pense que je ne te verrai pas de la journée de mercredi je suis toute triste et pourtant j’ai besoin que tu sois heureux, que tu te portes bien et que tu t’amuses. L’injuste est que je ne puisse pas l’être avec toi. Ça n’est pas ta faute et je ne t’en veux pas. Mais je fais de durs reproches à la Providence pour cette inégalité de partage qui n’est pas digne d’elle. À quoi sert d’être la suprême intelligence si on n’est pas la suprême bonté et la suprême justice ? Taisez-vous et laissez-moi avaler mes regrets comme je peux. D’ailleurs, vous avez un moyen de me fermer la bouche avec la vôtre et de faire de mes invectives des cris de bonheur et de reconnaissance.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 13-14
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « Saint Joste Tennoode ».

Notes

[1Le 12 mai 1852 Victor Hugo, Charles et Van Hasselt font une excursion à Hal.

[2Saint-Josse-Ten-Noode : commune des environs de Bruxelles.

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