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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 24 février 1852, mardi gras, 4 h. ½ du matin

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour, mon trop bien-aimé, bonjour. C’est encore aujourd’hui jour anniversaire, si non par la date du moins par le jour nominatif [1]. Je veux le consacrer pieusement en te pardonnant du fond du cœur tous les torts que tu as eusa envers notre amour pendant sept ans [2] et toutes les atroces souffrances qu’ils m’ont causéesb. Mon Victor, aux noms de tous nos doux souvenirs, au nom de cette radieuse nuit qui rayonne encore sur toute ma vie, je te pardonne et je te bénis. Je suis si émue dans ce moment-ci en pensant à cette première nuit où je me suis donnée à toi tout entière que me main tremble au point de ne pouvoir pas tenir ma plume. Chaque pulsation de mon cœur me fait sauter le bras au point que je ne suis pas maîtresse de la diriger comme je veux.
Cher adoré, il y a dix neuf ans, à pareil jour et à pareille heure, tu sortais de mes bras pour la première fois et pour la première fois aussi j’éprouvais cet immense vide et cette profonde tristesse que j’ai toujours éprouvée depuis chaque fois que tu te séparais de moi. De ce premier jour, je t’ai toujours suivi des yeux aussi loin que mon regard pouvait t’apercevoir et mon âme suivait ton âme à travers l’espace. Mon Victor, mon bien aimé, mon sublime adoré, je t’aime toujours comme la première fois où je t’ai vu et mon être frissonne au contact de ta chère petite main. Il me semble que tu es de flamme, tu me brûles le cœur, et tu m’illumines l’âme. Je t’aime plus que je peux te le dire, plus que tout au monde. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 135-136
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Massin, Souchon, Pouchain]

a) « eu ».
b) « causé ».


Bruxelles, 24 février 1852, mardi gras après-midi, 2 h.

Cher bien-aimé, est-ce que tu ne me consacreras pas quelques instants de plus que d’habitude en l’honneur de ce pauvre mardi gras qui est pour moi, par le souvenir qu’il me rappelle depuis 19 ans, le plus beau jour de ma vie ? Je sais combien tu es occupé mon Victor, mais il y a des devoirs pieux en ce monde auxquelsa il ne faut pas manquer sous peine d’ingratitude et de remords. Quant à moi, mon doux adoré, j’ai repassé dans mon cœur et dans mon cher petit livre rouge [3] tous ces doux et glorieux anniversaires et à chacun d’eux mes lèvres et mon âme leur donnaient l’accolade de reconnaissance et d’amour ; mais la véritable fête, mon Victor, le vrai bonheur, c’est toi, c’est ta voix, c’est ton regard, c’est tout ce qui me charme et m’éblouit. Si tu ne viens pas, si tu ne donnes pas quelques minutes à ce pauvre anniversaire, je serai triste quoi que je fasse. J’ai préparé mon petit livre rouge pour que tu m’écrives dessus aujourd’hui. Oh ! cette fois je ne laisserai pas échapper l’occasion. Il ne sera pas dit que cette date suprême aura passé deux fois devant nous sans que nous l’ayons saluée du cœur.
Mon Victor, mon grand bien-aimé, je t’en prie, laisse un peu de côté pour aujourd’hui seulement ton travail, le temps seulement de te souvenir de notre première nuit de bonheur. Ce ne sera pas bien long, mais cela me portera bonheur à moi qui aib fait de mon amour l’unique but de ma vie. À chaque instant je prête l’oreille, croyant entendre ton pas, et à chaque nouvelle déception mon cœur se serre comme si ce retard était un indice de ton indifférence ou de ton oubli. Pourtant mon petit homme, je ne t’accuse pas. Je sais combien les heures de la journée sont prises par toutes sortes d’occupations et de visites, mais mon impatience ne raisonne pas. J’ai besoin de te voir, je te désire, je t’attends et tout ce qui t’empêche de venir m’est insupportable et odieux. Je t’aime trop, mon Victor. Il y a dix-neuf ans que je m’en aperçois sans vouloir me corriger. Mon Victor, je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 137-138
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « auquels ».
b) « est ».

Notes

[1Le jour de mardi-gras de 1833, Hugo a renoncé à se rendre à un bal d’artistes où il était invité pour aller passer la nuit chez Juliette. Ce n’était la première fois… Juliette confond cette nuit-là avec celle du 16 au 17 février.

[2Sept ans fait référence aux années de liaison passionnée que Victor Hugo entretint avec Léonie Biard et dont Juliette ignorait l’existence. C’est Léonie Biard qui révéla cet amour à Juliette par l’envoi, en juillet 1851, d’une liasse de lettres enflammées écrites de la main d’Hugo. La douleur de Juliette fut immense.

[3Depuis leur première nuit d’amour (16 au 17 février 1833) Victor Hugo adresse à Juliette, chaque année à cette date anniversaire, une lettre pour célébrer ce souvenir. Juliette conserve l’ensemble de cette correspondance reliée. Elle désigne ce « livre de l’anniversaire » par diverses appellations dont celle de « cher petit livre rouge ».

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