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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 20 février 1852, vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour mon petit homme, bonjour mon ineffable bien-aimé, bonjour. Je t’envoie toutes les caresses de mon âme et tous les sourires de mes yeux pour te réchauffer et pour te réjouir ce matin car le temps est bien froid et la neige bien triste. Dors, mon pauvre adoré, et ne te préoccupe pas des bruits qui se font autour de toi. N’écoute que mon âme qui te parle tout bas et qui te dit toutes les plus douces choses qu’elle sait.
Quel dommage que ton Charlot n’ait pas songé à t’avertir plus tôt hier, tu aurais peut-être dîné avec moi. Une autre fois il faut lui dire qu’il s’arrange de manière à te prévenir avant cinq heures. Tu sais, mon doux adoré, que tu m’avais promis de dîner trois fois par semaine avec moi. Cette promesse si charmante, je ne te l’ai pas réclamée jusqu’à présent parce que je pensais que tu ne devais pas quitter ton Charles avant d’en être quitte. Mais maintenant qu’il a noué des relations au dehors, il me semble que c’est le moment de te faire souvenir que tu m’as positivement promis de dîner avec moi trois fois par semaine. J’ai d’autant moins de scrupule à demander l’exécution de cette promesse que cela ne te coûtera pas plus ici que dans ta table d’hôte. Seulement ta goinfrerie en souffrira peut-être un peu, mais mon cœur en profitera de toutes ses forces.
Toujours pas de lettre de Paris ? C’est étrange, il faudra pourtant qu’on rompe ce silence et même qu’on l’explique d’une façon quelconque. Et cette demoiselle si inflammable, tu ne l’as pas vue non plus ? Tu ne lui as pas répondu ? Elle ne t’a pas écrit ? Si cela est, tu n’as plus rien à faire maintenant car sa lettre demandait une réponse ou une visite immédiate. Du reste, mon bien-aimé, comme tu n’as aucune raison de me rien cacher dans aucun cas, je suis bien tranquille et je me confie à toi depuis pater jusqu’à amen. La preuve c’est que je suis bien heureuse, que je te souris, que je t’aime et que je t’adore. Mon Victor, sois heureux de mon bonheur, sois béni dans ta loyauté. Que tout ce que tu aimes soit heureux, que tout ce que tu désires t’arrive, c’est le vœu bien ardent de ta pauvre

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 119-120
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 20 février 1852, vendredi après-midi, 2 h.

Tu ne m’as rien fait dire par Suzanne, mon bien-aimé, ce qui me fait craindre que tu ne viennes pas avant ce soir. Ce sera bien long mais si c’est pour ton travail ou pour ton plaisir, je me résigne et je tâche de m’accoutumer.
Tu as fait porter une lettre chez Mme de Brouckère. Est-ce que c’est pour refuser le dîner de lundi ? Dans ce cas-là il faudrait écrire au mari pour lui demander de s’entremettre dans l’affaire de l’argenterie. C’est mon idée fixe et je ne te laisserai tranquille que lorsque tu l’auras tirée à claire. Il faut absolument ravoir cette argenterie ou la faire renvoyer à Paris. L’impossible, le bête, le stupide c’est de la laisser entre les mains des gabelous [1]. Voilà bientôt deux mois que cette chose traîne sans être plus avancée que le premier jour. C’est tannant, mais à qui la faute ? Mon petit homme, un peu d’ennui est bientôt passé. Allons un peu de courage et quelques petits mots sur le papier et tu nous délivreras de cette sciante affaire. Songe donc que nous pouvons être forcés de QUITTER ce pays d’un moment à l’autre. Ceci me fait penser aux lettres de Paris. Mon Victor, peut-être crois-tu devoir me cacher certaines préventions qu’on a sur moi et que je trouve toutes naturelles puisqu’on ne me connaît pas. Peut-être encore y-a-t-il d’autres exigences conditionnelles que tu veux me laisser ignorer par crainte de ma santé ou par pitié pour ma tranquillité. Eh ! bien tu aurais tort mon adoré bien-aimé, car je ne me porte jamais si bien et je ne me sens jamais si confiante et plus en sécurité que lorsque que ta franchise vient au devant de mes pressentiments. Je t’assure, mon adoré bien-aimé, que tu peux tout me dire. Le dangereux, le cruel serait de me cacher quoi que ce soit. Je ne me suis jamais dissimulé les difficultésa de ta position, je les crois très grandes, sinon insurmontables. Aussi, mon adoré bien-aimé, ta confidence ne serait pas une révélation douloureuse pour moi mais la triste confirmation de mes pressentiments et la preuve bien convaincante mais bien consolante que tu ne me caches rien et que tu crois à mon dévouement comme à Dieu même. Maintenant, mon pauvre bien-aimé, après tant de prières, de patience et d’amour si tu me cachais quelque chose ce serait plus qu’insenséb, ce serait coupable et sans excuse. Mais, je ne le crois pas, car je sens mon pauvre cœur rassuré et toute mon âme qui t’aime, t’admire et t’adore avec un tendre et pieux respect.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 121-122
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « difficulté ».
b) « insensée ».

Notes

[1Gabelous : douaniers.

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