3 février 1852

Bruxelles, 3 février 1852, mardi soir, 5 h.

Cher adoré, je m’associe de toute mon âme à ta joie paternelle dans ce moment-ci. Tout ce que tu éprouves de bonheur en revoyant ce cher enfant je le sens par la puissance sympathique. Tu es bien heureux et je suis bien heureuse. S’il dépendait de mon amour et de mon dévouement tu le serais plus encore, tu le serais tout à fait. Mais il n’y a pas de dévouement qui puisse arracher à l’infâme Bonaparte la noble et courageuse victime de sa lâche et monstrueuse vengeance. Il ne faut rien moins que Dieu pour châtier un si grand misérable et j’espère qu’il ne le laissera pas longtemps impuni. D’ici là, mon cher adoré, tu as de quoi prendre patience et courage dans la présence de ton Charles. Mon Dieu que vous devez être heureux. D’y penser mes yeux se mouillent de joie et mon cœur bat plus vite. Il n’est pas probable que tu puisses revenir ce soir, mais je fais de grand cœur le sacrifice de mon bonheur personnel pour le vôtre, mes deux chers aimés. Si vous saviez tous tant que vous êtes ce que mon pauvre cœur est pour vous, loin de me repousser ou de me voir avec défiance, vous m’auriez [illis.] de toutes vos sympathies et de tous vos respects. Mais cela n’est pas possible dans ce monde-ci du moins, et je ne m’en plains pas car mon lot est encore assez beau comme cela puisque j’ai le droit de vous aimer et de mourir pour vous. Mon Victor adoré, mon heureux père, mon sublime martyr, je te souris, je t’aime, je t’admire. Je vous bénis tous les deux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 55-56
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette