Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Septembre > 21

Jersey, 21 septembre 1852, mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon pauvre petit imprévoyant, bonjour. Tu as dû être bien mouillé hier ? Mais aussi quelle imprudence de sortir sans parapluie sous ce ciel pluvieux et fantasque. Et puis tu t’étonnes après d’être souffrant comme si cela n’était pas tout simple avec le peu de soin que tu portes à ta santé. Tout cela n’est pas précisément raisonnable et j’en profite pour grognonner à mon aise. C’est toujours autant de fait. Cela ne m’empêche pas d’être très vexée de mon accident, car j’avais pris à cœur de te finir ton paletot le soir-même. Non pas que je crois à la durée de cette besogne, mais pour te faire plaisir. Je n’y ai pas réussi comme tu as vu ce qui est assez bête, même pour une Juju qui en fait son état. J’essayerai pourtant de le finir aujourd’hui ne fût-cea que pour en avoir le cœur et les mains nets. En attendant j’ai tous les ongles de la main droite cassés à force de griffer votre chienne de pelure. Qu’est-ce que vous me donnerez pour cela ? Nous verrons si vous êtes généreux et si vous tiendrez à honneur de vous réhabiliter aux yeux du rédacteur du journal le GROIN DE GAND [1] et de la lecteuse admiratrice, votre très humble Juju. Prenez garde, l’opinion publique et le journal de Gand ont les yeux sur vous et moi je vous observe avec soin. Toto méfiez-vous et jetez beaucoup d’or par les fenêtres quand je passe dessous.

BnF, Mss, NAF 16371, f. 349-350
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « fusse ».


Jersey, 21 septembre 1852, mardi après-midi, 1 h.

C’est très gentil à vous d’être venu ce matin, mais c’est très mal de vous en être allé si tôt et ce sera hideux si vous ne vous dépêchez pas à revenir car plus tard ce sera l’heure de la poste, ce qui vous donnera le prétexte de ne pas venir du tout. Si vous croyez que je me contente pour tout bien de votre vieux paletot, vous vous trompez du tout au tout. Ce n’est pas qu’il ne me donne beaucoup de tablature [2] jusqu’ici et que je n’aie déjà usé une livre de savon et une voie d’eau bouillante pour le nettoyera, mais toutes ces joies et ces fous rires me laissent assez maussade et je sens que je ne me déciderai que lorsque je vous tiendrai sous mes griffes émoussées. D’ici là je me permets d’être assez désagréable et de trouver le temps aussi long que le nez de l’AUGUSTE VACQUERIE. Permettez-moi de me servir de ce CRITERIUM [3] pour mesurer mon incommensurable ennui et laissez-moi vous moduler mon embêtement sur tous les tons jusqu’à votre retour. Hélas ! Dieu sait quand il aura lieu car j’ai vu passé une caravane de proscrits barbus, moussus, peu chevelus, assez fourbus, quoique têtus se dirigeant vers votre demeure. Il ne vous en faut pas tant pour vous empêcher de venir. Aussi je sais d’avance le sort qui m’ait réservé pour aujourd’hui et je n’en suis pas plus fière pour cela. Mais je ne vous en adore pas moins.

Juliette

BnF,Mss, NAF 16371, f. 351-352
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyer ».

Notes

[1À élucider.

[2Donner de la tablature à quelqu’un : donner des difficultés.

[3Juliette se moque volontiers du long nez d’Auguste Vacquerie.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne