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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 22 décembre 1852, mercredi matin 8 h. ¼

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, je vous aime et vous ? J’espère que tu auras compensé la nuit dernière en dormant plus tôt et en te réveillant plus tard et que ton pauvre Charlot [1] n’aura pas eu besoin de toi. Pauvre garçon. C’est dans des moments comme ceux-là que je regrette de ne pouvoir pas lui être utile mais il est dit que je ne pourrai jamais vous être bonne à rien ni aux uns ni aux autres. Cette conviction m’humilie et me décourage souvent. À quoi bon vivre inutile ? C’est une question que j’adresse matin et soir au bon Dieu dans l’espoir qu’il finira par m’employer à quelque chose qui tourne à ton bonheur. Mais, en attendant, les heures, les jours, les mois, les années s’écoulent sans que rien ne me fasse sortir de mon énervante inaction. Encore, si nous étions en Australie je pourrais essayer de te faire fortune en grattant la terre matin et soir à la sueur de mon front mais ici il n’y [a] aucun moyen d’utiliser mon dévouement et mon amour. Je t’aime tout platement et tout bêtement pour le plaisir de t’aimer, comme si la première femme venue n’en pouvait pas faire autant, tandis qu’il [y a] en moi un amour capable de tout faire pour ton bonheur. Il est triste de penser que toutea cette forte et sainte tendresse ne te sera jamais bonne à rien qu’à t’adorer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 297-298
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « tout ».


Jersey, 22 décembre 1852, mercredi midi ½

Je suis un monstre de paresse et de cagnerie [2] en fait de rédaction et vous êtes un autre fameux brigand de décembre  [3] de me forcer à faire des choses si contraires à ma nature. Aussi ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce [4]. J’en suis si convaincue que je ne peux me décider à tremper mes doigts dans l’encre pour autre chose que pour gribouiller les tendresses que je ne peux pas vous dire de vive bouche. Cependant puisque vous l’exigez, je tâcherai d’obéir mais c’est bien dur. Autant je me sens capable de RAIDE ACTION, autant je suis FAIBLE et mollasse devant la rédaction comme vous me l’imposez [5]. Je regrette de n’avoir pas commencé ce journal le 17, j’aurais eu quelque chance de ne le pas continuer, quel bonheur ! Au lieu que l’ayant commencé le 14, il n’y a pas de raison pour que votre abonnement cesse jamais. C’est lugubre. Enfin j’ai beau me lamenter et me recommander à tous les saints, il faut en passer par là. Mais j’aimerais mieux avaler dix médecines KünckelKünckel [6] et toute la pharmacie de Lemaour [7]. C’est vraiment une funeste idée que vous avez eue là, mon cher petit Toto, puissiez-vous un jour ne pas regretter le gaspillage de votre papier et le sacrifice inutile de mes légitimes répugnances. En attendant, je vais gribouiller, gribouiller, gribouiller à mort comme une pauvre Juju à l’attache.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 299-300
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[2Cagnerie : néologisme à partir de cagnard, cagne, cagner. Synonyme de paresse.

[3Brigand de décembre : allusion au coup d’État du 2 décembre 1851.

[4Citation de la fable de la Fontaine L’Âne et le petit chien.

[5Rédaction du Journal de Jersey ou Journal de Jersey.

[6Juliette Drouet se souvient des soins que lui avait prodigués le Dr Künckel en 1850-1851, lorsqu’elle avait la gale.

[7À élucider.

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