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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 19 décembre 1852, dimanche matin 9 h.

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon doux adoré, comment vas-tu ce matin ? Encore endormi probablement grâce au fameux cidre. Quant à moi qui n’ai pas le même motif pour prolonger mon pionçage, je suis levée depuis la tendre aurore de sept heures et demie. Ce qui ne m’avance pas beaucoup davantage car je passe régulièrement toute la matinée à refaire et à faire la besogne de mon âne têtu de Suzanne, laquelle on tuerait avant d’obtenir qu’elle vous obéisse en quoi que ce soit. Cet entêtement stupide a de quoi agacer des gens plus patients que moi. Aussi je ne me fais pas faute de rager, je te prie de le croire. C’est ainsi que je passe mon temps et que j’arrive à moitié de la matinée sans avoir pu te dire bonjour autrement que de la pensée et de l’âme. Si je pouvais espérer te voir quand tu iras à la réunion de midi, cela me mettrait un peu de baumea dans le sang. Mais tu ne seras peut-être pas seul et puis tu seras trop pressé probablement ; aussi je prévois que je ne te verrai pas avant ce soir et je n’en suis pas plus gaie pour cela. Pourtant, mon Victor adoré, je te souris, je t’aime, je t’adore et je ne m’ennuie que de ton absence. Tâche de venir le plus tôt que tu pourras.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 285-286
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « beaume ».


Jersey, 19 décembre 1852, dimanche matin 11 h.

J’espère encore que tu pourras venir me voir si tu es seul en allant à St Hélier [1]. Pauvre petit homme, quand je pense à tout ce que tu as à faire en dehors de ton sublime travail et à la douloureuse préoccupation de ton jeune fils, je ne sais pas comment tu peux y résister. Vraiment il faut que ta nature physiquea ait aussi quelque chose de divin pour ne pas succomber à tant de fatigue et d’épreuves successives. Pourtant, mon pauvre adoré, n’abuse pas de cette santé et de cette force exceptionnelle, ménage-les bien au contraire, car au train dont vont les choses et le Boustrapa1, je prévois que tu en auras plus besoin que jamais. Et puis, mon cher petit bien-aimé, pense à moi et ne m’exclusb pas trop de tes projets d’excursion de Serk [2], de Guernesey [3], de Gorey [4] et de photographie. Songe à mon isolement ou plutôt songe à mon cœur qui ne peut pas vivre sans toi. Tâche de trouver moyen de me mettre des vôtres dans ces parties-là n’importe à quel titre et pour quelque fonction que ce soit. Je ne serai pas difficile sur les conditions de mon admission pourvu que je sois auprès de toi. C’est tout ce qu’il me faut. Le reste, je veux dire les AUTRES me sont indifférents. Quantc au RESTE, je n’en fais pas si bon marché et je n’en donne ma part à personne.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 287-288
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « phisique »
b) « exclue »
c) « quand »

Notes

[1Saint-Hélier : Saint-Hélier : capitale de Jersey, la ville compte en 1852 « une population de trente mille habitants » et son port est « par son commerce le septième d’Angleterre », Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo. t. II. Pendant l’exil I. 1851-1864. Éd. fayard, 2008, p. 88. Saint-Hélier est aussi le port principal de l’île où accostent les bateaux en provenance des deux côtés de la Manche. À son arrivée, le 31 juillet 1852, Auguste Vacquerie porte un regard critique sur la cité : « la ville se cache dans un coude de la falaise, entre une colline qui porte le fort Régent et une autre qui s’appelle le mont Patibulaire. Un canon et un gibet, voilà les fleurs que Jersey vous présente quand vous débarquez. L’aspect n’en n’est pas égayé par un grand bêta de port tout neuf, sans un bassin fermé pour retenir l’eau, où barbotent, à mer haute, une demi-douzaine de bâtiments de maigre tonnage, et qui, à mer basse exhale l’odeur de la vase et de la fièvre. », J. M. Hovasse, ibid., p. 87-88.

[2Serk : au nord-ouest de Jersey, l’île la plus sauvage de l’Archipel de la Manche ; « Hugo l’a aperçue pour la première fois le 5 août 1852 ; il fait part au poète belge André van Hasselt de son admiration […] C’est une espèce de château de fées, plein de merveilles. » Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et aux îles anglo-normandes, Éd. Orep, 2010, p. 80.

[3Guernesey : île anglo-normande où le clan Hugo passe la seconde partie de l’exil (1855-1870).

[4Gorey : charmant petit port de la côte est de l’île dominé par la forteresse de Montorgueil et où la famille Hugo avait envisagé dans un premier temps de s’établir. Mais en définitive une demeure plus proche de Saint-Hélier fut choisie car « les deux Adèle préféraient à l’unique rue à angle droit de ce village aussi pittoresque que minuscule, l’animation comparativement trépidante de la capitale. », Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo, t. II. Pendant l’exil I. 1851-1864, Éd. Fayard, 2008, p. 95.

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