Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Mars > 29

29 mars 1852

Bruxelles, 29 mars 1852, lundi matin, 8 h.

Bonjour toi que j’aime, bonjour. S’il me fallait te dire en détail tout ce que j’ai sur le cœur pour toi, la journée, la semaine, le mois, l’année, la vie, l’éternité n’y suffiraient pas. Mais il y a un simple mot qui résume à lui seul toutes les tendresses et tous les bonheurs. Ce mot c’est je t’aime que je te dis avec les yeux, avec la bouche, avec la plume, avec le cœur et avec l’âme sans me lasser jamais.
Bonjour cher adoré, bonjour, ne te réveille pas encore. Il fait assez maussade ce matin, profites-en pour te reposer un peu plus longtemps. Je regrette de ne pas connaître ta petite chambre, il me semble que nous serions moins séparés si je savais tes habitudes, dans quel coin tu couches, où tu déposes tes habits et sur quelle chaise tu t’assieds. Est-ce que je ne la verrai jamais, cette chambre ? Est-ce que nous ne nous rapprocherons plus jamais ? Voilà deux mois révolus que nous ne nous sommes fait une seule caresse. Car je n’appelle pas caresse les coups de genoux que nous nous échangeons ou plutôt que je te donne sous la table. Tout cela constitue une intimité platonique qui ressemble beaucoup plus à de l’indifférence qu’à de l’amour. Quel quea soit le prétexte dont tu te sers pour justifier une aussi longue continence, il est difficile, mon pauvre bien-aimé de ne pas voir l’humiliante VÉRITÉ : c’est que tu n’as plus de goût pour moi. Tu m’aimes comme une bonne et honnête femme, bien dévouée et bien fidèle que je suis. Mais rien de plus. Ce n’est pas ta faute, mon pauvre homme, et je n’oserai jamais t’en parler si tu ne voulais pas m’entretenir dans une erreur impossible. Mon Victor adoré, cela ne m’empêche pas de t’aimer comme le premier jour et de frissonner au contact d’un seul de tes cheveux. Je t’aimerai toujours ainsi, même quand je serai morte.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 261-262
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».


Bruxelles, 29 mars 1852, lundi après-midi, 2 h.

J’ai fait ta proposition, mon petit homme, elle a été acceptée tout de suite. Malheureusement votre étrenne demain ne sera pas merveilleuse : du bœuf froid et porc frais. Je crains, à l’abondance près, que votre déjeuner ne vous satisfasse pas davantage à l’avenir que dans le passé à cause de la distance et de l’impossibilité de manger les choses à point. Enfin tu en essayeras une quinzaine de jours. Si cela ne te plaît pas nous tâcherons de trouver une autre combinaison. En attendant, mon petit homme, j’en suis presque aux remords de t’avoir révélé certaines particularités assez honteuses de mon entourage. Il y a une sorte de tort à blâmer les gens dont on reçoit une espèce de service. Ce tort je me le reproche, bien que tu sois pour moi ma conscience même. Enfin ce n’est pas l’indulgence qui te manquera pour ces malheureuses femmes. Ainsi je ne leur ai pas fait grand tort en t’apprenant ce que tu avais probablement déjà deviné. D’ailleurs la bonté et l’honnêteté du mari est un grand contrepoids à la légèreté de la femme. Mon Victor adoré, mon bien-aimé, tout cela me rend de plus en plus attentive à ne rien faire, à ne rien dire, à ne rien penser qui ne soit digne de toi, digne de l’amour si pur que j’ai pour toi. Sois tranquille mon petit homme, je t’appartiens, c’est un honneur que rien ne saurait me faire oublier. Ne pense plus à tout ce que je t’ai dit de triste et de honteux sur cet intérieur que je suis forcée d’habiter et aime-moi sans dégoût et sans prévention défavorable, car je suis bien en dehors de toute cette corruption.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 263-264
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne