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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mars 1852

Bruxelles, 20 mars 1852, samedi matin 7 h. ½

Bonjour mon bon petit bien-aimé, bonjour comment vas-tu ? Cette question si banale en elle-même contient toutes les sollicitudes de mon cœur, toutes les tendresses de mon âme et tous mes vœux pour ta santé, pour ta gloire et pour ton bonheur. Comment vas-tu, dans ma bouche lorsqu’il s’adresse à toi veut dire je t’aime, je t’admire, je t’adore. Je ne manque pas tous les matins de te l’envoyer de la pensée pour qu’il t’arrive à travers tes rêves comme une caresse, comme un baiser ailé, comme un sourire d’espérance. COMMENT VAS-TU ?
J’ai vu hier le moment où tu allais prendre le change sur mon silence. Aussi je me suis dépêchée de rompre mon mutisme quoiqu’il m’eût paru plus doux de rester dans mon recueillement dans ce moment-là. Je songeais à l’incident heureux du départ de cette femme dont la présence ici me préoccupait et m’inquiétait sans que je susse précisément pourquoi. Je remerciais Dieu de nous en avoir débarrassés à si bon marché. Puis ma pensée allant de ce qu’il y a de plus vicieux à ce qu’il y a de plus vertueux et de plus saint je contemplais avec une pieuse admiration l’auréole trois fois méritée de ta noble et courageuse femme. J’étais si absorbée dans cette contemplation que j’en avais perdu la parole. Cependant je n’ai pas tardé à la retrouver comme tu as pu le voir. Du reste j’oserai avouer que mon admiration pour Caroline [1] ne va pas jusqu’à me contenter toute une longue soirée de ses poses plus ou moins voluptueuses. En général on aime autant les bêtes que lorsque le cœur est incapable d’aimer les gens. Quant à moi, mon Victor, le mien est trop affairé de vous pour avoir du temps de reste pour ce genre d’occupation. Traitez-moi de PÉDANTE si vous voulez, je m’en fiche. Je vous aime comme un chien mais vous ne m’aimerez jamais autant qu’un chat. Je le vois trop maintenant mais il est trop tard pour que cela me profite, hélas !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 229-230
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 20 mars 1852, samedi soir, 5 h. ½

Pardonne-moi mon égoïsme, mon pauvre bien-aimé. S’il m’était possible de vivre sans air, sans lumière et sans amour, je pourrais supporter ton absence car tu es tout cela pour moi. Voilà pourquoi la vie me manque si complètement dès que tu me quittes.
Cependant, mon doux adoré, il y a une chose que je supporterais encore moins facilement que la privation de toutes ces choses si nécessaires aux poumons, aux yeux et à l’âme, ce sont tes propres privations. La pensée que tu souffres ou que tu regrettes – je te l’ai déjà dit bien des fois – quelqu’un ou quelque chose me fait horreur et il n’est rien dont je ne sois capable pour l’empêcher. Vaa donc ce soir où tu as à faireb et ne reviens que lorsque ta santé, ton esprit et ton cœur te le diront. En attendant mon Victor, je vis dans le souvenir de mon bonheur passé, dans l’espérance de mon bonheur à venir. Ces deux étais sur lesquels je m’appuie pour arriver tout doucement à la résignation, première porte de la mort.
Vac, mon cher petit homme, et sois heureux demain. D’ailleurs j’aurai mon tour, un peu partagé entre tous et surtout entre TOUTES. Mais enfin j’en pourrai prendre un peu ma part. D’ici-là mon Victor, jouis de ta liberté du mieux que tu pourras. De mon côté je tâcherai d’abuser de mon esclavage le moins mal qu’il me sera POSSIBLE. À ce soir, mon Victor, à bientôt peut-être, à toujours pour t’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 231-232
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « va ».
b) « affaire ».
c) « vas ».

Notes

[1À identifier : animal de compagnie des Luthereau ?

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