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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 27 janvier 1852, mardi après-midi, 4 h.

Cher adoré, c’est sous la protection de la délivrance de ton cher fils [1] que je mets ma résolution de me confier à toi aveuglément pour toute chose. Dès aujourd’hui, mon Victor, je n’ai pas d’autre volonté que la tienne et je te livre sans restriction la responsabilité de mon bonheur et de ma vie. Fais-en ce que tu pourras et ce que tu voudras. Tu n’en dois plus compte qu’à Dieu. Et pour que jamais il n’y ait dans ma pensée un seul soupçon injuste, je te supplie mon Victor, de ne me rien cacher de tout ce que tu croiras devoir faire dans l’intérêt de ton repos. S’il faut que tu écrives à cette dame, malgré la répugnance instinctive qui me fait craindre que ce remède soit pire que le mal, dis-le moi, mon bien-aimé, je t’en conjure [2]. Laisse-moi la triste satisfaction de ma courageuse résignation. Si c’est plus encore, s’il faut que tu la voiesa, dis-le moi toujours, car je trouverai des forces dans ta loyauté même, je l’espère. Tandis que si tu me trompais, même par pitié, je sens que je ne le supporterais pas.
J’ai tant prié depuis hier, même en rêve. Je priais Dieu et nos deux anges [3] de m’inspirer une bonne résolution. Ils m’ont envoyé celle-ci, de me confier à toi entièrement et d’accepter avec générosité les conséquences si douloureuses de ta faute. Ô mon Victor adoré, c’est bien vrai que je te pardonne tout le mal que tu m’as fait et tout celui que tu me feras encore involontairement. Je te bénis à travers toutes mes souffrances dont Dieu seul sait le nombre et la violence. Mais je t’aime tant que je finirai, ta loyauté aidant, par ne plus souffrir du tout et je pourrai te sourire jusqu’à mon dernier soupir. Mon Victor, c’est aujourd’hui que ton cher enfant sort de prison, c’est aujourd’hui que tu reprends possession de ce bon morceau de famille, les autres ne tarderont pas à suivre si le bon Dieu est juste. C’est aujourd’hui que je me livre à toi corps et âme sans m’en rien réserver. Je suis sûre que cette date nous portera bonheur à tous et que nous serons bientôt bien heureux, bien heureux, bien heureux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 43-44
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « voie ».

Notes

[1Charles Hugo est libéré de la Conciergerie le 28 janvier 1852.

[2Juliette soupçonne Victor Hugo de vouloir écrire à Léonie d’Aunet. En effet on apprend dans une des lettres que le proscrit adresse à son épouse : « […] Mme D’Aunet veut venir me joindre ici. Elle a l’intention de partir le 24. Va la voir tout de suite et parle-lui raison. Une démarche inconsidérée en ce moment peut avoir les plus grands inconvénients […] Dis-lui que j’écrirai à l’adresse qu’elle m’a donnée […] » Lettre de Victor à Adèle, 19 janvier 1852, Massin, t. VIII, p. 969.

[3« Nos deux anges » : par cette expression Juliette désigne la fille de Victor Hugo, Léopoldine (1824-1843) et la sienne, Claire Pradier (1826-1846).

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