18 mai 1839

18 mai [1839], samedi soir, 6 h. ½

Pour être le dernier servi, mon adoré, vous n’en êtes que le plus adoré, le plus désiré et le plus choyé de tous les êtres vivants^a. J’ai eu beaucoup à faire pour surveiller les maçons et les empêcher de faire des bêtises inutiles. Ensuite j’ai écrit à la mère Pierceau ainsi qu’à M^me Lanvin, enfin me voilà en tête à tête avec votre pensée et Dieu sait qu’en voilà pour longtemps. Je suis jalouse de vous, mon Toto, et cependant chaque fois que je m’aperçois^b qu’il manque quelque chose à votre toilette, je souffre comme si c’était ma faute et je donnerais à l’instant tout ce que je possède pour qu’il ne manque rien à vos habits pour être digne de vous. Il est vrai que si je voulais être conséquente avec mon admiration pour la beauté sublime de votre adorable petite personne [illis.], le rationnel et tous les ornements pontifiants^c taillés, ordonnés, dessinés et inventés par Dieu lui-même, comme le nec plus ultra de la toilette, ne seraient pas dignes de vous servir de robe de chambre. Aussi ce n’est que relativement aux modes de ce temps-ci que se borne l’ambition de mes désirs de coquetterie et de dandysme pour vous. Je vous aime, Toto, vous ne le savez pas parce que cela vous est égal mais je vous aime. Je vous adore de toute mon âme. Je n’ai de joie et de bonheur qu’en vous. Vous êtes toute ma vie. Tâchez donc de me faire sortir ce soir. Il y aura demain huit jours que je n’ai pas mis le pied dans la rue, et il y en avait davantage aujourd’hui que je n’avais pas déjeuné^d avec vous, c’est trop de privations à la fois et vous devriez m’en récompenser promptement. Je vous aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 179-180
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « vivans ».
b) « m’apperçois ».
c) « pontifians ».
d) « déjeuner ».