Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1879 > Décembre > 16

Paris, 16 déc[embre] [18]79, mardi matin, 8 h. ½

Cher bien-aimé, je ne suis pas encore bien satisfaite de ta nuit car il paraît que tu as toussé et que tu n’as pas beaucoup dormi. La recrudescence du froid peut bien y être pour quelque chose. Moi-même j’en ai ressentia les effets par une longue et cruelle insomnie. Heureusement que le jour m’apporte toujours beaucoup d’apaisementb ; dans ce moment-ci je suis presque bien.
Au moment où je t’écrivais ce dernier mot le pauvre petit enfant d’hier m’est apparu mais cette fois avec des cris déchirants car le pauvre petit avait l’onglée [1] et se tordait dans des douleurs inexprimables. Je suis descendue en toute hâte dire qu’on le fasse entrer, qu’on le réchauffe, qu’on le console et qu’on le réconforte avec du lait chaud bien sucré ; mais dans l’intervalle il avait été rejoint par une escouade de jeunes écolières un peu plus grandes que lui qui s’en étaient emparé et qui l’emmenaientc fraternellement en lui frottant ses petites menottes dans les leurs en le baisant et en lui souriant tendrement. Ce que voyant, Mariette a jugé qu’il valait mieux ne pas arrêter ce groupe touchant et charmant et le laisser faire sa bonne œuvre à lui tout seul.
« Les gueux, les gueux, sont des gens heureux,
Ils s’aiment entr’eux, vive les gueux ! » [2] Béranger.
C’est égal, j’aurais voulu prendre ma part de ce petit acte de charité humaine autrement que d’intention. Enfin l’occasion peut malheureusement se rencontrer dès demain pour peu que ce froid impitoyable continue.
Tout cela ne nous permet pas à nous-mêmes un aller et retour bien agréable au Sénat tantôt. Et à ce propos je te dirai que la séance publique aura lieu à deux heures sans aucune indication de bureau et que le sommaire des choses qu’on traitera n’est pas intéressant. Tu en jugeras quand tu le verras. Moi je t’adore, voilà toute ma politique.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16400, f. 306
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette

a) « ressentie ».
b) « appaisement ».
c) « emmenait ».

Notes

[1Douloureux engourdissement du bout des doigts en raison du froid.

[2Refrain de l’air « Les Gueux » de Jean de Béranger.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne