9 décembre 1879

Paris, 9 déc[embre] [18]79, mardi matin, 8 h.

Cette fois-ci, mon pauvre bien-aimé, il n’y a pas le plus petit mot pour rire car il fait un froid à fendre les pierres et même les cœurs les plus durs quand on songe aux pauvres sans feu ni lieu, sans pain et sans vêtements ! Que vont-ils devenir s’il faut que ce froid inhumain se prolonge ? On n’ose^a pas y penser car toutes les charités réunies seront insuffisantes à pourvoir et à calmer tant de misère ! Nous-mêmes, les heureux et les riches, nous ne sommes pas sûrs d’avoir le strict^b nécessaire aujourd’hui pour ne pas souffrir de la rigueur de la saison. Le bois n’arrive^c pas et le charbon non plus, car pas une^d voiture ne marche. Les conduits d’eau gelés, impossible d’en faire couler une goutte jusqu’à présent. Il faudra que la fidèle Mariette se mette en quête de combustible sinon^e je ne sais pas ce que nous allons devenir. Le gaz des enfants est gelé et ne peut^f pas brûler ; c’est une désolation sans compter les stupides lamentations inutiles que m’inspire cet affolement de la température. Pardonne-les-moi d’autant plus que j’ai dans le cœur un amour assez ardent pour embraser le ciel et la terre.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16400, f. 299
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette

a) « on ose ».
b) « stricte ».
c) « n’arrivent ».
d) « car une voiture ».
e) « si non ».
f) « peu ».