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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 novembre [1841], vendredi matin, 11 h.

Bonjour Toto. Bonjour mon petit o. Si c’est aujourd’hui qu’on juge votre procès, bonne chance et prompt débarras. Je n’ai plus qu’un mois et 25 jours, je n’aurais même rien du tout à attendre pour être mise en possession de ma [petit dessin carré un peu confus [1]] mais vous êtes un homme monstrueux Monseigneur et vous me faites tirer la [elle se dessine tirant une longue langue] d’un pied de long pour une chose qui m’est légitimement due. Puisse l’internelle consolacion vous être à tout jamais refusée pour vous apprendre à me torturer comme vous faites.
J’espère que vous gagnerez votre procès et que vous viendrez m’en apporter tout de suite la nouvelle parce que je n’entends pas la plaisanterie moi entendez-vous ? Il fait bien beau ce matin mais il fait bien froid aussi. C’est demain que j’aurai ma pauvre péronnelle. J’aurais voulu pouvoir lui montrer votre cher petit buste mais je vois bien que cet affreux Barbedienne n’est pas prêt à me l’envoyer [2]. Que le Bon Dieu le rapatafiole. J’ai oublié de te dire hier qu’en mettant 50 F. de côté il ne me restait plus que 10 F. voilà ce que c’est que [les provisions]. Cependant par obéissance je les ai mis de côté jusqu’à nouvel ordre. Il me semble aussi que vous ne m’avez pas donné à copier. Vous savez pourtant que c’est mon seul vrai plaisir. Si vous venez de bonne heure je vous en demanderai. En attendant je me brosse le ventre au soleil et je grelotte à vous rendre jaloux. Je vous attends avec une impatience peu modérée et un amour idem. Ne me faites pas languir.

Juliette

Vente Artcurial, 14 décembre 2010, Thierry Bodin expert.
Transcription de Jean-Marc Hovasse


5 novembre [1841], vendredi soir, 5 h. ¾

Vous venez très peu vite, mon amour. Cependant, j’ai grand hâte de vous embrasser et de connaître l’issue de votre procès, vous devriez savoir cela et me faire un peu moins languir [3]. Mais vous ne pensez à moi que quand vous me voyez, ce qui n’arrive pas souvent comme vous savez et ne dure pas longtemps.
J’ai envoyé Suzanne chez Jourdain pour le talonner [4] et, pendant ce temps, j’essaie d’allumer mon feu sans pouvoir en venir à bout et je suis asphyxiéea par la fumée. C’est vraiment peu amusant et je ne désire pas te voir dans ce moment-ci à cause de tes pauvres yeux, c’est le seul cas qui me fasse faire un pareil souhait.
J’ai cherché mes cheveuxb blancs toute la journée et encore je n’ai pas fini, j’aurai plus vite fait de chercher les cheveux noirs car ils sont très clairsemésc maintenant. Au reste, c’est le parti que je prendrai dorénavant, pendant que vous arracherez vos cheveux blancs, moi je me tirerai mes cheveux noirs. À nous deux, nous résoudronsd le problème des cheveux d’une seule nuance [5]. Je sens que je dis un tas de bêtises qui n’onte ni queues ni têtes et que je ferais bien mieux de me taire. Aussi, c’est ce que je vais faire après vous avoir dit que je vous aime et que je vous adore et que je n’ai plus que deux mois et 24 jours pour avoir la plus jolie boîte à volets de l’univers, y compris les cinq parties du [monde  ?] [6]. Mon Dieu, que je suis bête, c’est dégoûtant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 91-92
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « asphixiée ».
b) « cheveaux ».
c) « clairs semés ».
d) « résoudront ».
e) « non ».

Notes

[1Sans doute s’agit-il de la petite « boîte à tiroirs » que Victor Hugo offrira à Juliette Drouet quinze jours plus tard, le 19 novembre. Voir CFL, t. VI, p. 1266.

[2Juliette Drouet reçoit un « charmant petit buste » de Victor Hugo le 29 novembre. Voir Mille et une lettres d’amour, p. 225. Il s’agit très vraisemblablement d’un buste en bronze, lauré ou non, par David d’Angers, fondu par F. Barbedienne. Certains laurés sont datés de 1842, d’autres, sans laurier, sont sans date.

[3L’opéra de Donizetti adapté de Lucrèce Borgia, créé à Milan en 1833, est joué au Théâtre-Italien à la fin du mois d’octobre 1840. Hugo fait arrêter ces représentations en février 1841, après avoir refusé à Étienne Monnier le droit de publier sa traduction en français du livret ; mais Monnier était passé outre. Hugo fait savoir aux directeurs de théâtres parisiens et de province qu’ils s’exposent à un procès en contrefaçon s’ils représentent l’opéra. Les théâtres de Metz, Nancy et Lyon ayant bravé cet avertissement, Hugo, soutenu par la SACD, intente un procès en contrefaçon contre le traducteur, l’éditeur de musique et le directeur du théâtre de Metz. Hugo et son avocat Paillard de Villeneuve gagnent leur procès. Après l’appel, le jugement définitif est prononcé le 5 novembre 1841, le jour même donc.

[4Depuis le 29 octobre, Juliette se plaint de douleurs au coccyx à cause d’une chaise inconfortable. Elle veut donc commander à Jourdain de nouveaux fauteuils qu’elle recevra le 6 novembre.

[5Juliette a beaucoup de cheveux blancs et elle passe parfois des heures à les chercher et à les arracher méthodiquement pour dissimuler ces marques de vieillissement (voir par exemple les lettres du 2 février et du 5 août 1841). C’est pourquoi elle reproche parfois à Hugo en comparaison, son éternelle jeunesse.

[6Juliette parle d’une petite boîte à tiroirs qu’elle réclame depuis le début de l’année, et que Hugo a promis de lui offrir pour le nouvel an. Cela fait quelque temps qu’elle fait ainsi le décompte des jours qui la séparent encore de ce cadeau tant attendu qu’elle recevra finalement en avance le 19 novembre. Elle commet d’ailleurs ici une erreur dans ses calculs, qu’elle rectifiera le lendemain : il s’agit d’un mois et 25 jours.

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