Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Octobre > 12

12 octobre [1841], mardi soir, 9 h.

J’ai dînéa, j’ai lu votre sixième feuillet [1] et je ne le trouve pas au-dessous de sesb cinq frères aînés. Voilà mon opinion politique et littéraire formulée, si elle vous offusque j’en suis fâchée mais je n’en rabattrai rien, dussé-je avoir encore plus de [dessinc] que vous ne m’en avez dans votre imposteuse de caricature. Je voudrais bien que vous puissiez me faire sortir ce soir ou au moins demain dans la journée. Je sens déjà mon mal de tête qui rôde autour de ma pauvre caboche et qui ne tardera pas à en reprendre possession. Au reste, je consens à ne pas même ouvrir une seule fenêtre d’ici à huit jours si vous me promettez de m’emmener le soir du huitième jour en malle-poste pour Toulon, Fontainebleau, Bordeaux ou Montargis, peu importe l’endroit pourvu que ce ne soit pas dans ce hideux Paris où je n’ai que le fantôme de votre possession et non la réalité. Je consens, dis-je, à ne pas humer le plus pauvre petit souffle d’air si vous voulez passer marché avec moi pour l’époque désignée derrière. Est-ce dit ? Voyons, décidez-vous vite, je suis pressée de respirer ou d’étouffer à votre choix, seulement dépêchez-vous [2].
Je ne copierai pas ce soir parce qu’il est déjà tard et que je viens de dîner, mais demain, oh ! demain, c’est la grande chose. À propos, je voudrais bien savoir dans quoi MON STYLE m’aurait fait classer par FEU le célèbre Monsieur de Buffon [3] ?
Parmi les huîtres ou les madrépores ? Parmi les coloquintes ou les laitues ? À moins que le STYLE [ne] soit rien du tout pour la femme par la raison qu’il est tout l’homme mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est impossible d’être plus profondément, plus vulgairement et plus bêtement bête que moi. Il y a des moments où j’ai envie d’en être au désespoir mais je n’ai même pas assez d’esprit pour ça. Je suis stupide et puis voilà tout, mais je t’aime en revanche pour tout l’esprit que je n’ai pas. À défaut de cervelle, j’ai un cœur, à défaut d’idée, j’ai de l’amour plus que tu n’en userasd dans toute l’éternité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 27-28
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « dîner ».
b) « ces ».
c) Dessin de Juliette en train de lire le sixième feuillet avec un autre feuillet sur les épaules ?

© Bibliothèque Nationale de France


d) « usera ».

Notes

[1Hugo est en train d’écrire la conclusion du Rhin.

[2Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps, mais malheureusement, en 1841, le poète est trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin et leur voyage annuel n’aura pas lieu.

[3Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788) : naturaliste, mathématicien, biologiste, philosophe et écrivain français. Participant à l’esprit des Lumières, parallèlement à l’Encyclopédie, il est à la fois académicien des sciences et académicien français. Ses théories ont influencé deux générations de naturalistes.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne