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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 octobre [1841], dimanche après-midi, 1 h. ½

Mon petit Toto, je vous demande très humblement pardon si je me trompe mais je vous crois pour le quart d’heurea le plus faux, le plus menteur et le plus misérable des hommes. Si par un heureux hasard je me trompais, je ne demande pas mieux que de lécher vos souliers napolitains et de baiser la poussière de vos sacrés petits pieds. Malheureusement, je crois être sûre de mon fait, ce qui ne me fait rire que tout juste assez pour ne pas pleurer comme un veau. Il est probable que vous auriez l’excessive délicatesse de me laisser demain toute seule en l’honneur du départ de ma péronnelle [1], afin d’ajouter le charme de votre absence à l’isolement qui va recommencer pour moi. Voime, voime, fort adroit, fort spirituel et fort tendre. Mais je ne veux pas blasphémer, mon adoré, car tu as été si doux, si complaisant, si bon et si ravissant hier que ce serait une ingratitude révoltante que d’avoir l’air de l’oublier. Mais, mon cher adoré, tu sais que le cœur est insatiable et que plus il prend de bonheur et d’amour et plus il en [a] soif et faim. C’est ce qui fait que la pensée de ton absence aujourd’hui me rend si triste déjà et si affamée de te revoir. Ça n’est pas ma faute, c’est parce que je t’aime trop. Baise-moi, mon amour adoré, et ne me grogne pas. Je t’aime de toute mon âme.
J’ai fini la page commencée ainsi que tu me l’avais dit, si j’ai un peu de temps tantôt ou ce soir je copierai dare-dareb [2]. Dites donc, vous, est-ce que vous n’allez pas bientôt m’enlever ce tas de stupidités qui pourrit sur ma table ? Si vous ne vous dépêchez pas, je le déposerai promptement au coin de la borne [3]. Voilà mon opinion, tant pis pour toi, scélérat, si elle ne te chausse pas.
Baise-moi, cher petit homme de ma vie. Baise-moi, je t’aime avec fureur. Tâche de ne pas aller aujourd’hui ni jamais à Saint-Prix [4]. Hélas ! enfin, vas-y le moins que tu peux et reviens-en tout de suite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 5-6
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « d’heures ».
b) « dar dar ».

Notes

[1Claire, la fille de Juliette, repartira en effet le lendemain soir.

[2Ces derniers mois, Victor Hugo a consacré tout son temps à la rédaction du Rhin et il est en train d’en écrire la Conclusion.

[3Hugo oublie parfois de lire ou d’emporter avec lui les lettres de Juliette.

[4Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin.

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