Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Septembre > 17

17 septembre [1841], vendredi après-midi, 2 h. ½

Dès que vous n’êtes plus là pour m’abîmer et me saccager tout et me faire enrager, je ne sais plus où j’en AI, je suis triste comme un bonnet de nuit et bête comme une noix. Je ne sais plus vivre ni respirer, on dirait que je suis à cent pieds sous terre. Mon cher petit Toto, ça n’est que trop vrai tout ce que je vous dis là. Je n’existe que par vous, dès que je vous perds de vue je ne sais plus que devenir. Aussi jugez si je désire vous voir revenir auprès de moi et si je suis malheureuse quand vous vous en allez pour toute la journée. Aujourd’hui j’ai l’affreux pressentiment que vous êtes allé à Saint-Prix [1] et je sens déjà les avant-coureurs d’une tristesse féroce qui s’emparent de moi. Si je pouvais me tromper, mon Dieu, quel bonheur et quelle joie ce serait. Je sais bien que ce ne serait que différéa mais moi je vis au jour le jour et la certitude de vous avoir aujourd’hui m’empêcherait de penser à l’absence qui me menacerait demain, et je donnerais de bon cœur tout ce qui me reste à vivre pour être sûre de ne pas te quitter ni jour ni nuit pendant deux grands mois [2]. Il est vrai que si la possibilité d’escompter sa vie de cette manière existait, il y aurait bien longtemps que je serais morte et enterrée. Mais la question n’est pas de vivre beaucoup d’années bêtement, mais d’être la plus heureuse femme qu’il y ait sous le ciel pendant un jour. Voilà mon opinion et puis baise-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 227-228
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « disféré ».

Notes

[1Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin.

[2Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. Mais en 1841, leur voyage annuel n’aura pas lieu.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne