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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 juillet [1841], jeudi après-midi, 1 h. ½

Quoiqu’il soit toujours très doux et très charmant pour moi de vous avoir, mon petit bonhomme, je suis cependant vexée que vous ayez donné la préférence au jour de la médecine sur tous les autres jours où je suis saine [1]. Je vous vois en réalité si peu que je suis au désespoir quand je vous vois à puff [2], autrement dit à l’œil ou à sec. Cependant à tout prendre j’aime mieux vous voir et vous avoir comme ça que pas du tout et vous avez toujours très bien fait de venir, surtout si vous revenez demain. Mais j’y pense, c’est demain que sea juge votre procès, alors je ne vous verrai pas, que tard dans la journée. Tâchez au moins de le gagner, ce procès, ou donnez-moi les 23 F. de droit d’auteur avec lesquels je me ferai une bosse de bonnets [3].
En attendant voici une espèce de beau temps qui veut avoir l’air de se manifester. Si cela pouvait durer j’en serais bien aise pour vous, mon cher petit ver à soie frileux. J’espère aussi que vous me feriez prendre un peu l’air car j’en ai besoin. Toto je vous aime, mon Toto je vous adore. J’ai écrit hier à ma fille pour la prévenir du jour et de l’heure à laquelle Lanvin ira la chercher [4], en même temps je lui ai dit les bouquets que les écoliers vous avaient envoyés. Tant pire je n’ai pas pu me retenir, il faut absolument que je parle de vous à quelqu’un. Il m’arrive trop souvent de n’en parler qu’à moi-même mais c’est monotone, aussi dès que je peuxb fourrerc un mot sur vous quelque part je n’y manque pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 77-78
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ce ».
b) « peu ».
c) « fourrer ».

Notes

[1Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et a donc commencé au mois d’avril un traitement lourd, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois (voir la lettre du 21 avril).

[2Tromperie de charlatan, annonce pour leurrer (Littré).

[3Lucrezia Borgia, l’opéra de Donizetti adapté de Lucrèce Borgia, créé à Milan en 1833, est joué à Paris au Théâtre-Italien à la fin du mois d’octobre 1840. Le livret, traduit en français par Étienne Monnier, porte le même nom que la pièce de Hugo sans qu’on lui ait demandé la moindre autorisation. Le poète, soucieux de conserver le genre dramatique originel de l’œuvre, fait donc interdire ces représentations en février 1841, après avoir refusé à Monnier le droit de publier sa traduction en français du livret avec la musique de Donizetti. Mais ce dernier passe outre et Hugo menace les directeurs de théâtres parisiens et de province d’un procès en contrefaçon s’ils représentent l’opéra, en vain. Par conséquent le poète, soutenu par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, porte plainte en juillet avec son avocat Paillard de Villeneuve. Hugo va gagner son procès et après l’appel, le jugement définitif sera prononcé le 5 novembre 1841. La traduction sera interdite et le poète aura même le droit de la détruire à chaque fois qu’il la rencontrera.

[4Claire Pradier est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836. En général elle vient passer les fins de semaine chez sa mère et ce sont les Lanvin que se chargent d’aller la chercher puis de la ramener.

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