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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juin 1841

14 juin [1841], lundi matin, 10 h. ¾

Bonjour, toi. Si tu crois que je suis contente de vous tu te trompes joliment. Venir chez moi à minuit pour y corriger des épreuves [1] jusqu’à deux heures dua matin sans m’adresser une seule parole et puis pour couronner votre conduite vous m’appelez ÂNE ROUGE. Pôlisson, reviens-y va, tu verras ce que c’est que d’insulter et d’endormir une FAIBLE FEMME. Ia ia monsire, matame, je de TONNERAI TES PONS GOUPS DE BIEPS où les Prussiens ont coutume de recevoir les PAIONNETTES [2]. Reviens-y, je ne te dis que ça, c’est-à-dire que je te l’écris car je serais bien embarrassée de dire quoi que ce soit puisque je n’ai plus de voix, même pour me faire entendre de Suzanne, et je tousse et je crache des choses hideuses [3]. Je suis vraiment fort mal hypothéquée ce matin. De plus c’est le jour de la blanchisseuse et je n’ai pas de quoi la payer, ce qui n’est pas très drôle car c’est sur toi que cela retombe, mon pauvre petit ÂNE BLANC. Si tu voulais je vendrais bien quelque chose pour te soulager un peu, ce serait toujours un petit bourriquet de renfort pour finir de grimper ce hideux mois qui, comme tous les autres, a une montagne de dettes, de première communion [4], de réception académique [5] et autres aspérités de ce genre qui sont dures à tirer. Je vous aime Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 251-252
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « du du ».


14 juin [1841], lundi soir, 4 h. ¾

Je vais me coucher, mon Toto, je sens que je serai mieux dans mon lit que levée. Ne t’effarouche pas de me trouver au lit et ne va pas croire que je suis très malade, j’ai seulement besoin de me reposer voilà tout.
La blanchisseuse est venue, j’ai pris à Suzanne de quoi la payer. Si tu as quelque argenta sur toi tantôt nous le lui rendrons tout de suite. Je suis furieuse contre la mère Pierceau qui a taillé si bêtement tes ceintures que j’ai passé toute la matinée à raccommoderb celui que tu as mis deux ou trois jours et tout cela n’aboutit qu’à d’affreux bourrats dont tu ne pourras peut-être pas te servir. C’est peu agréable et pas du tout économique, que le diable l’emporte. Jour Toto. Il n’y a que toi qui ne fassesc pas de bêtises, tu es mon amour bien-aimé. Et je te permets de m’appeler encore âne rouge tout à l’heure car je suis très grinchue et très blaireuse. Baisez-moi toujours en attendant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 253-254
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « quelqu’argent ».
b) « racommoder ».
c) « fasse ».

Notes

[1Hugo s’apprête à confier les manuscrits des deux futurs volumes du Rhin à ses imprimeurs et éditeurs.

[2On se moquait en France des déroutes d’Auerstaedt et d’Iéna en 1806 où les Prussiens, paniqués, ont abandonné précipitamment leur position face aux Français commandés par Napoléon. En 1825, d’ailleurs, est publié un Guide du Prussien ou Manuel de l’artilleur sournois, à l’usage des personnes constipées, des personnes graves et austères, des dames romantiques, et de tous ceux qui sont esclaves du préjugé.

[3La veille, Juliette s’est réveillée avec un très fort mal de gorge.

[4Claire a fait sa première communion le jeudi 27 mai et c’est Victor Hugo qui a assumé ses frais de toilette, tout comme il le fait déjà pour son pensionnat de Saint-Mandé, à la place de son véritable père James Pradier.

[5La réception de Hugo à l’Académie française a eu lieu le 3 juin.

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