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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mars 1841

20 mars [1841], samedi soir, 6 h. ¼


Ce que j’avais redouté est arrivé, mon Toto, cette diablesse de fille a fait la chose à peu près [1]. J’espère cependant qu’on pourra rectifier tous les défauts parce qu’il n’y a rien de coupé et que tout le défaut vient de l’inexactitude de l’assemblage du corsage. J’ai déjà fait refaire la fameuse couture du dos, tout cela au reste empêchera la robe d’être faite demain mais il vaut mieux qu’elle ne soit finie que mardi et qu’elle aille bien. Je surveillerai la chose de près. Je lui ai déjà prouvé tout à l’heure, à cette absurde couson [2], que l’un de ses dos était de deux pouces plus haut l’un que l’autre, comme je lui avais déjà prouvé tantôt que son entournure n’était pas pareille à l’autre. Enfin, mon Toto, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour que cette machine aille bien. Dans tous les cas tu auras la ressource du tailleur pour lui donner le FION [3]. Voici qu’il pleut, j’espère que cela me soulagera un peu car vraiment je souffre horriblement. J’ai le cœura gonflé et malade, on dirait que j’ai un gros abcès de tristesse qui voudrait sortir. Enfin, je donnerais ma vie pour deux liards à celui qui voudrait faire ce mauvais marché avec moi.
Je n’ai pas encore eu le temps ni de me débarbouiller ni de rien me faire, occupée que je suis après ta tisaneb, ton ouvrière et ta maison. Le jour où je serai relevée de toute responsabilité dans tous ces triquemaques je serai bien contente. En attendant je crois, je suis sûre même que je dis des bêtises, je te prie de n’en pas prendre autrement de souci. Je souffre, j’ai besoin de grogner, j’ai du papier, une plume et de l’encre qui formule en mots plus ou moins ineptes les douleurs de ma carcasse. Il serait fort à propos que tu vinssesc essayerd ta robe pendant que cette fille est là afin qu’elle voie ce qui manque. Il est vrai que lundi à midi tu seras à la maison et qu’elle pourra l’essayerd de même. Jour Toto. Je t’aime, c’est la seule chose vraie et raisonnable que j’aie écritee dans tout ce tas de stupiditésf.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 261-262
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ceur ou cour ».
b) « tisanne ».
c) « vinsse ».
d) « esseyer ».
e) « écrit ».
f) « stupidité ».

Notes

[1Depuis quelques jours, Juliette a emprunté à son amie Laure Krafft une robe de chambre qui sert de modèle à l’ouvrière Pauline afin d’en tailler une neuve pour Hugo. Malheureusement, elle se plaint souvent de la fainéantise et de l’inefficacité de celle qu’elle surnomme Penaillon.

[2Pauline.

[3Populaire : mettre la dernière touche à un ouvrage pour le perfectionner. Étymologiquement, il est probable que fion, fionner, se rattachent à fignoler (Littré).

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