30 avril [1841], vendredi après-midi, 3 h. ¾
Mais, mon pauvre Chinois [1], vous n’avez pas le sens commun de vouloir que je sorte sans être ni débarbouillée, ni habillée, ni rien avec toute ma maison sans dessus dessous et avec toutes mes affaires à faire. Je veux absolument faire mes comptes de fin de mois aujourd’hui car sans cela je me connais, je n’aurais pas le courage de les faire une fois l’époque passée. En outre j’attends ma péronnelle [2] tantôt et j’aime autant être chez moi quand elle arrivera parce [que] je redoute encore de la laisser seule avec la bonne. Si tu veux pendant qu’elle sera ici nous irons ensemble AU DÉCROCHE-MOI ÇA [3], ce sera un conseil de plus et ce qui abonde en fait de coquetterie comme en autre chose d’aussi important ne vicie pas.
J’ai un mal de tête absurde, j’étouffe, je donnerais deux sous pour une bouffée d’air frais. Celui qui m’arrive a l’air d’avoir passé dans un four rougi. Ouf quelle affreuse chaleur [4]. Vous êtes mon Toto bien-aimé mais vous êtes absurde de venir vous coucher si tard parce qu’alors je vous empêche de dormir, moi qui ai fait ma nuit et qui étouffe de la chaleur du lit. Il faut mon pauvre amour pour que notre bonheur soit parfait et pour que je ne trouble pas le repos dont tu as tant besoin. Cher bien-aimé adoré, c’est si doux de te voir reposer comme un enfant. Tu en as le souffle et la pureté dans l’haleine, ta petite bouche rose est comme une fleur qui va s’ouvrir, je voudrais la dévorer. Je t’aime avec toute la passion et toute l’extravagance d’une maîtresse et avec toute la tendresse et toute la sollicitude d’une mère. Je t’adore mon cher petit bien-aimé. Baise-moi mon Toto ravissant.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 107-108
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette