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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 juillet [1841], samedi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Pourquoi n’es-tu pas venu puisque je t’avais dit que les barricades n’existaient plus que pour la forme [1] ? Vous laissez aller avec les beaux jours les bonnes nuits et les charmantes matinées. Vous ne profitez de rien et c’est moi qui en pâtis. Depuis que vous êtes académicien patenté, il y a de ça un mois juste aujourd’hui, je vous vois encore moins que jamais, ce qui est trop peu, même pour ne se dire que bonjour [2].
Je viens de lire ta lettre à l’ouvrier en question, elle est admirable de raison, de douceur et de générosité [3]. Pauvre bien-aimé, tu n’es pas seulement le plus sublime des hommes, tu en es encore le meilleur. Je baise tes chers petits pieds. Je vais copier ta lettre et mettre l’adresse à celle de M. d’Escamps. J’écrirai aussi à mon pauvre père car je suis honteuse de ne lui donner aucun signe de vie après toutes les promesses successives que je lui ai faites [4]. Je voudrais, mon pauvre bien-aimé, que tu pussesa m’y mener enfin très prochainement. Je t’aime mon Toto adoré, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 9-10
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « pusse ».


3 juillet [1841], samedi après-midi, 2 h.

On dirait que le temps a entendu ta colère hier et qu’il se dépêche de se ranger à son devoir aujourd’hui, car il fait très beau et très chaud ce matin de très froid et très vilain qu’il faisait hier au soir. Dieu veuille que ça dure, pour moi je le désire de tout mon cœur puisque ça te fait plaisir.
J’ai copiéa ta lettre, j’ai envoyéb celle de M. d’Escamps, j’ai écrit à mon père, à Mme Krafft et à Jourdain, enfin je suis toute prête à aller dîner aux Marronniersc [5] pour peu que le cœur t’en dise. Hélas !d et cinquante trois mille fois hélas, ça n’est pas pour moi que le soleil chauffe et que les Marronniersc verdissent. La rue Sainte-Anastase et le coin de ma fenêtre, c’est assez bon pour moi. Cependant, mon bien-aimé, je n’ai pas à me plaindre car tu m’as fait faire hier une charmante promenade et qui m’a fait beaucoup de bien, mais le bonheur d’hier ne devrait pas exclure celui d’aujourd’hui, pas plus que le dîner d’hier n’exclut celui d’aujourd’hui. Le cœur a ses besoins comme le corps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 11-12
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « copier ».
b) « envoyer ».
c) « Maronniers ».
d) Juliette a tracé une vague censée figurer les autres « hélas » qui s’ajoutent.

Notes

[1Juliette fait référence à sa remarque de l’avant-veille où elle faisait à Hugo le même reproche.

[2Hugo a été élu à l’Académie française le 7 janvier, au fauteuil de Népomucène Lermercier, et sa grande cérémonie de réception, consacrant véritablement son admission, a eu lieu le 3 juin précédent.

[3Cet ouvrier est Pierre Vinçard, « fabricant de mesures linéaires » et rédacteur en chef de la Ruche populaire, qui s’est indigné d’une expression employée par Hugo dans la conclusion de son discours de réception à l’Académie française : « avoir les populaces en dédain et le peuple en amour ». Il s’est donc, selon les mots de Jean-Marc Hovasse, « fendu d’un long article intitulé “De la populace” pour s’élever contre cet aristocratique dédain qu’un Béranger n’aurait jamais montré ». C’est ainsi que, sans animosité, le poète lui répond « par une démonstration prouvant à quel point il ne compt[e] pas commencer sa vie politique sur un malentendu, et sa lettre [est] à son tour dûment publiée dans la Ruche populaire du mois de juillet » (Victor Hugo, Tome I, ouvrage cité, p. 825).

[5Restaurant réputé de Bercy.

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