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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 janvier [1841], mardi matin, 9 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour, mon pauvre amour. J’espère que tu n’es pas malade ? Je désire que tu m’aimes et je t’attends de toutes mes forces. Je me suis couchée bien tard cette nuit, et j’ai éteint ma lampe à près de trois heures. Tu vois l’heure à laquelle je t’écris ? Ceci te prouveraa mieux que tout ce que je pourrais te dire que, quand je ne te vois pas à mes heures habituelles, je ne peux ni vivre ni dormir. Je t’aime, mon Toto bien-aimé, je t’aime comme je voudrais être aimée de toi s’il était en mon pouvoir de le faire. Quand donc te verrai-je, mon amour ? Le temps est bien triste et bien long pour moi depuis hier.
J’envoie acheter ta brosse à ongles et commander deux brosses en chiendent comme celle que nous avons usée. J’ai fait ta bourse en veloursb noir hier [1]. J’espérais t’en faire la surprise cette nuit ou ce matin mais vous n’êtes pas venu, méchant homme. Taisez-vous.
Je garde l’ouvrière [2] pour raccommoderc mes vieux draps, mes vieilles chemises et mes zaillons puisque je l’ai. D’ailleurs, en fait de raccommodagec le plus tôtd est encore le plus économique.
Je voudrais bien savoir ce que vous pensez de votre paletot [3] ? Pour mon compte, je sais que vous étiez ravissant dedans et que je vous aurais croqué sans le [illis.].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 77-78
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « prouveras ».
b) « velour ».
c) « racommoder » et « racommodage ».
d) « plutôt ».


26 janvier [1841], mardi soir, 5 h.

Te dire combien je suis triste c’est te dire combien je t’aime, mon adoré. C’est comme cela qu’il faut que tu prennes mes doléances car c’est ainsi que je sens : plus je t’aime et plus je souffre de ton absence, plus je souffre et plus je t’aime. Je ne sors pas de ce cercle éminemmenta vicieux car il me semble que je pourrais ne pas t’aimer moins et être heureuse. Cela dépendrait de toi.
J’ai vomi mon déjeuner aussitôt que j’ai été levée. Je ne sais que manger, tout me dégoûte. J’ai commandé pour moi toute seule une tourte au godiveau [4] !!!!!!b
Excusez, plus que ça de geulardise, merci. Il me semble, mon Toto, que votre enthousiasme pour votre paletot s’est bien refroidic depuis hier ? À quoi cela tient-il ? Vous m’avez parlé de vos entournures mais je crois que ce n’est pas là le vrai motif. Peut-être me le direz-vous ce soir mais dans tous les cas je crois que je le devine. Vous êtes une vieille bête et le dernier ou la dernière qui vous parle a toujours raison et il paraît que je suis toujours la première, ce qui explique pourquoi j’ai toujours tort. Taisez-vous et ne répliquez pas, vous n’avez pas la parole.
J’ai reçu une lettre de Claire tantôt, très gentille [5].
Baisez-moi, méchant homme, et tâchez de ne pas me laisser toute la soirée sans vous voir. Je vous aime, mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 79-80
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « imminamment ».
b) Les six points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « refroidie ».

Notes

[1Voir la lettre de la veille.

[2Pauline.

[3Depuis le 20 janvier, Juliette s’est employée à nettoyer et faire doubler un paletot de velours de Victor Hugo, tâche dont elle s’accommode progressivement. Cependant, en 1841, les goûts vestimentaires du poète évoluent considérablement, au fur et à mesure qu’il fréquente le beau monde.

[4Godiveau : « Hachis composé de viande, de graisse de rognons de bœuf et d’œufs, ou de poisson, et utilisé comme farce pour des quenelles ou pour la garniture d’un pâté chaud. » (TLF).

[5Claire écrit à sa mère tous les dix ou quinze jours environ. Dans sa lettre à sa mère du 26 janvier 1841, on peut lire : « J’ai vu ce bon Monsieur Pradier samedi et j’ai été bien contente, il m’a donné 5 s. Je fais une bourse plus grande que la dernière pour Monsieur Toto » (James Pradier, Correspondance, ouvrage cité, p. 214, [Siler]).

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