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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 janvier [1841], samedi après-midi, 1 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Comment vas-tu, mon cher petit homme ? Je suis inquiète de toi à cause de tes bottes percées, dans cette saison il n’y a rien de plus dangereux. Tâche de mettre tes bottes neuves ce matin, mon amour, car il vaut encore mieux souffrir un peu que de risquer ta santé, c’est à dire notre bonheur.
Lafabrègue est venu tout à l’heure, je lui ai donné 10 F. Le pauvre homme a été malade très longtemps, c’est ce qui l’a empêché de venir chercher son argent le mois passé. Me voilà au pair avec les créanciers [1] et les dépenses trimestrielles, malheureusement cela ne dure pas assez longtemps et tu as encore une tâche plus difficile à remplir d’ici à la fin du mois. Je ne sais pas comment tu en viendras à bout. Si l’amour le plus vif, le plus tendre, le plus passionné, le plus sincère et le plus fidèle pouvait t’aider, mon cher adoré, tu ne sentirais pas la fatigue et ton cher petit corps ne s’apercevraita pas des nuits sans sommeil et des jours sans repos. Le bon Dieu n’est pas juste de surcharger un adorable petit être comme toi et de ne me laisser à moi rien à faire ni à porter. Il aurait dû au moins nous partager la tâche. Je t’aime mon ravissant petit homme, je t’adore, mon petit homme bien-aimé.
Je n’ai encore RIEN ce matin mais je crains d’un moment à l’autre d’avoir quelque chose de fort ennuyeuxb. Cela ne t’empêchera pas, je l’espère, de venir déjeuner|lien=article354> avec moi. Ce n’est pas ma faute et je ne veux pas en pâtir. Tâchez donc, mon amour, de venir la nuit prochaine quel quec soit l’événement [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 47-48
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « s’appercevrait ».
b) « ennuieux ».
c) « quelque ».


16 janvier [1841], samedi soir, 5 h.

Je te vois à peine, mon adoré, je ne sais pas vraiment comment je peux me résigner à cette absence éternelle, à souffrir comme je le fais tous les jours. Il me semble que je n’aurai plus de courage pour le lendemain, mais il paraît que la force de souffrir est inépuisable, comme l’amour, car je recommence tous les matins et tous les soirs sur de nouveaux frais de chagrin et de découragement comme je recommence tous les jours à t’aimer de tout mon cœur et de toute mon âme.
Tu ne m’as pas dit si tu souperais ce soir ? Dans tous les cas j’aurai de quoi te donner à manger, seulement si j’étais sûre que tu vinssesa je te ferais rôtir le poulet que je viens d’acheter.
Je suis tourmentée de te savoir pataugeant dans les ruisseaux avec des bottes percées. C’est que tant vont les bottes à l’eau qu’elles finissent par s’emplir d’une bonne maladie qui vous tient deux ou trois mois sur le lit, ce qui ne m’arrangeraitb pas du tout, à moins que tu ne veuillesc les passer dans mon lit, les susdits trois mois, auquel cas je souscris de bon cœur à toutes les maladies qui peuvent me donner le bonheur de vous garder tout ce temps-là sans risques ni périls pour votre chère petite carcasse. Baisez-moi, Toto, et pensez que je vous aime et que je suis seule.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 49-50
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « vinsse ».
b) « m’arrangerais ».
c) « veuille ».

Notes

[1C’est tous les 10 du mois environ que des créanciers viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

[2Juliette parle ici de ses règles, auxquelles elle fait allusion à mots couverts à peu près à la même date chaque mois, selon un cycle plutôt régulier. Cette période est toujours l’occasion pour elle de déplorer le manque d’empressement de Hugo auprès d’elle ainsi que l’absence d’une intimité physique pourtant ardemment souhaitée.

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