Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Janvier > 14

14 janvier [1841], jeudi, midi ½

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour.
J’espérais que tu serais revenu ce matin comme ça t’arrive quelquefois quand tu es resté trop longtemps sans venir. J’ai été bien attrapéea ce matin quand je n’ai vu personne. Mon Toto adoré, je t’aime, c’est ce qui fait que je suis insatiable de ta vue. Je voudrais ne pas te quitter plus que ton ombre et toujours respirer ton souffle et boire ton âme. J’ai rêvé de toi toute la nuit, cela aurait dû t’attirer, mon cher bien-aimé, si tu n’avais pas été absorbé par la travail comme un pauvre petit ouvrier qui attend après la journée pour faire vivre les siens. Aussi je ne t’en veux pas et je baise tes chers petits pieds.
N’oubliez pas, scélérat, que vous avez une lettre de Mme FAUME à m’apporter et que je n’entends pas raillerie là-dessus [1]. Quant aux BÔTTES sur le lit, je ne me résoudrai à cet excès de vertu que dans la dernière quinzaine de mes vingt ans de prix Montyonb [2]. Je le ferai comme un vernis qui s’étendra moelleusement sur toutes les saloperies vertueuses que j’aurai répandues à grand flot sur votre corps d’académicien et sur votre habit illustré de taches sur toutes les coutures. Mais jusque là, pas de bôttes, de bottes, ni de beuttes sur le lit.
Baisez-moi, vieux salot [3], et dépêchez-vous de venir exercer ma vertu. Je vous aime toujours quoique vous soyez académicien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 39-40
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « attrappée ».
b) « Monthyon ». 


14 janvier [1841], jeudi soir, 5 h. ¾

Tu te conduis bien loyalement avec moi, mon adoré, je le crois de toute mon âme, mais je ne peux pas m’empêcher d’être triste chaque fois qu’une nouvelle tentation s’offre à toi car qui sait si un jour tu ne succomberas pas à ces tentatives réitérées qu’on fait sur ta fidélité. Je te dis cela sérieusement, mon adoré, car mes craintes sont profondes et sérieuses. Le jour où tu me seras infidèle je me tuerai, le jour où tu m’aimeras moins je mourrai. J’ai besoin de ton amour pour vivre, il me faut ta fidélité pour ne pas me porter aux plus tristes et auxa plus furieuses violences. Je t’aime, mon Victor, comme jamais homme n’a été aimé, c’est pour cela que je suis si inquiète à la moindre chose qui menace notre amour et notre bonheur.
Je t’en prie, mon bien-aimé, ne donne aucune prise à ces tentatives éhontées. Tu as trop de cajoleries en général pour toutes les femmes. Pense que c’est de ma tranquillité, de mon bonheur et de ma vie dont il est question dans chaque coquetterie de paroles, de sourires et de fadaises que tu laissesb tomber sur des créatures qui s’en autorisent après pour t’écrire des turpitudes. Je t’aime, mon Victor, c’est comme si je te disais que je suis jalouse. Je t’adore, mon Victor, c’est te dire que je me tourmente à la moindre apparence de séduction. Tâche de me revenir bien vite, j’en ai plus besoin que jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 41-42
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « au ».
b) « laisse ».

Notes

[1Après trois tentatives infructueuses, Hugo vient d’être élu à l’Académie française, le 8 janvier, à dix-sept voix contre quinze pour le vaudevilliste Ancelot. Très rapidement, le poète commence à recevoir des lettres d’admirateurs, et surtout d’admiratrices…

[2Le prix Montyon est un ensemble de trois prix annuels. Le premier, le prix de vertu, et le second, le prix pour l’ouvrage littéraire le plus utile aux mœurs, sont décernés par l’Académie française. Le troisième est un prix scientifique attribué par l’Académie des sciences.

[3Petit jeu orthographique entre Juliette et Hugo. Elle emploie de temps en temps à dessein le « t » à la fin du mot « salot », au lieu du « salop » attendu, pour taquiner le poète qui n’apprécie guère. Dans sa lettre du 5 mars 1841, Juliette écrit d’ailleurs : « Reviens-y m’en apporter encore, pÔlisson, tu verras ce que je te ferai, vieux saloP. J’espère que je vous fais des P d’honneur à présent et que vous ne vous plaindrez plus de la trop grande abondance de mes T, ces sudorifiques de l’orthographe qui vous ont tant de fois fait suer ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne