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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 février [1841], samedi, midi ½

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher bien-aimé. J’ai envoyé Claire au bois [1] avec la mère Lanvin qui s’est forcée pour venir, sachant que son mari ne s’y connaît pas du tout. Il est convenu que Claire restera jusqu’à lundi mais il faudra que nous la reconduisions nous-mêmes parce que Lanvin ne peut pas se dispenser d’aller à son imprimerie le matin et que la mère Lanvin est vraiment bien souffrante. Ainsi c’est convenu, mon cher bien-aimé, nous gardons Clarinette un jour de plus.
M. Pradier n’a pas encore donné l’argent mais il le promet toujours [2]. J’ai dit tout à l’heure à la mère Lanvin que je lui donnerais les reconnaissances et l’argent pour le 24 de ce mois à emporter, afin de leur épargner une course indispensable [3].
J’espère, mon adoré, que la presse Pfaffenhoffena passée [4] tu me donneras mes jours gras ? Les miens ont été si maigres tout ce temps-ci que j’ai besoin d’un fameux rabibochage pour ne pas jeter le manche après la cognéeb.
Je t’aime mon Toto adoré, je t’aime mon ravissant petit homme, c’est ce qui me fait trouverc le temps si long et si maussade quand tu n’es pas avec moi. Baise-moi mon pauvre amour, baise-moi mon cher bien-aimé, je te désire de toute mon âme mon cher cher bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 163-164
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Phaphenoffen ».
b) « coignée ».
c) « trouvé ».


20 février [1841], samedi soir, 6 h.

Mon bois est rentré, mon Toto, Mme Lanvin est partie et je ne vous ai pas encore vu de la journée. C’est bien long et bien triste. J’ai fait achetera 26 marcottins [5] ainsi que vous le désiriez l’autre fois et j’en ai eu tout, bois, fagots et commissionnaire pour 44 F. 15 sous. C’est bien cher, n’est-ce pas mon pauvre petit homme ? J’ai donné les 100 F. du Mont-de-Piété à Mme Lanvin [6], j’ai payé l’ouvrière [7] et la provision d’aujourd’hui et de demain mais j’ai été forcée de prendre 5 F. sur les 100 F. de réserve. Pour peu que tu laisses cet argent à la maison deux ou trois jours de plus, tu n’en retrouveras plus.
À propos, pendant que j’y pense, je te dirai que j’ai donné à la mère Lanvin les deux ravissants flacons chinois qui étaient sur ma toilette [8]. Tu dois te souvenir que c’est à ton instigation car il y a deux ans ou un an tu voulais absolument que je les lui donnasse et que j’ai courageusement RÉSISTÉ. Enfin tantôt, pour la récompenser d’être venue m’acheter mon bois, toute malade qu’elle était, je lui ai donné ces PHAMES flacons. Si j’ai mal fait c’est votre faute, ne vous en prenez qu’à vous. En attendant, je reste là à voir tourner mon ombre sur mes pieds [9] sans flacons, sans Toto et sans bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 165-166
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « acheté ».

Notes

[1Il s’agit des commandes de bois à chauffer que Juliette passe tous les mois. Généralement, c’est Mme Lanvin qui s’en occupe.

[2Le père de Claire, le sculpteur James Pradier, ne verse une pension à Juliette que de manière très irrégulière même si, à cette époque encore, il continue à voir sa fille, à lui écrire et à s’intéresser à elle.

[3Non seulement les Lanvin s’occupent d’accompagner Claire jusqu’à son établissement, mais ils apportent aussi les règlements de ses frais de pension à la place de Juliette qui ne peut, selon les termes de la sorte de « contrat » qui la lie à Victor Hugo depuis novembre 1839, s’y rendre elle-même.

[4Juliette fait-elle référence au voyage annuel qu’elle a effectué avec Victor Hugo, du 29 août 1840 au 2 novembre 1840, soit pendant deux mois, dans la région du Rhin ? Ont-ils alors visité la ville de Pfaffenhoffen ? Ou s’agit-il d’un article paru dans un journal de Pfaffenhoffen concernant le père de Hugo, Joseph Léopold Sigisbert Hugo, ce qui expliquerait son travail du jour précédent où elle devait recopier sa biographie ? En effet, le général est né à Nancy, qui n’est pas loin de Pfaffenhoffen.

[5Petit fagot. L’orthographe usuelle est « marcotin » mais il semblerait que la variante orthographique « marcottin » soit tolérée (Dictionnaire de l’Académie française).

[6Dans sa lettre du 25 février au soir, Juliette écrira : « La mère Lanvin est venue m’apporter les reconnaissances renouvelées, cela se montait à 92 F. 7 sous mais je lui ai laissé les 13 sous d’appoint pour son omnibus. »

[7Pauline.

[8Il s’agissait probablement d’un cadeau de Victor Hugo, qui a toujours manifesté un intérêt tout particulier pour la Chine. Il en parle dans ses œuvres et collectionne aussi chez lui de nombreux objets.

[9Citation du poème écrit pour Juliette par Victor Hugo, qu’elle reprend de temps à autre : « La pauvre fleur disait au papillon céleste […] : / Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre / Vous fuyez, / Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre / À mes pieds » (Les Chants du Crépuscule, XVII, 1835).

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