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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 janvier [1841], samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon bon petit homme, bonjour mon adoré. J’ai assez bien passé la nuit, du moins depuis que tu es parti. Je n’ai pas eu d’accès mais je souffre toujours et j’ai un peu de fièvre. Je vais prendre beaucoup de précautionsa et me mettre au régime aujourd’hui et tout le temps que cette petite inflammation durera. Je vais avoir une journée assez laborieuse et dont je voudrais déjà être à la fin au lieu d’être au commencement car, sans être dans le paroxysmeb de cette nuit, je suis cependant très malade et puis je te verrai moins ou peu à mon aise et j’avoue que je donnerais tout au diable pour une minute d’intimité avec toi.
Je t’écris tout de suite une grosse lettre parce que je ne suis pas sûre de l’état où je serai ce soir et j’aime mieux, si je dois être malade, être en avance d’amour qu’en retard. J’ai ma chère petite lettre [1] que je baise et que j’adore.
Mon Dieu que tu as été bon cette nuit. Tu l’es toujours mais il y avait encore, si c’est possible, quelque chose de plus doux et de plus ineffable dans ta tendresse cette nuit que les autres fois. Je te remercie, mon bien-aimé, pour le bien que tu m’as fait. Il a été si prompt et si entier dans le moment que cela tenait du miracle. Merci, mon bon Toto. Mon pauvre père [2] va être joliment heureux de son petit livre [3], ce pauvre bonhomme. Je suis sûre qu’il le portera toujours avec lui. Tu as encore été divinement bon à cette occasion, comme un pauvre ange que tu es. Je t’aime, je t’adore de toute mon âme. Baise-moi, mon chéri, je t’aime.
Comment avez-vous trouvé mon dessin [4] ? J’espère que vous n’êtes pas assez barbare, assez sauvage, assez welche [5] pour ne pas l’avoir admiré comme il convient ? Si cela était, je ne vous en ferais plus et je passerais à l’état de talent méconnu, ce qui ne ferait honneur ni à votre connaissance ni à votre goût.
À propos, je ne sais pas comment j’assiéraic tout mon monde, même en me servant de la chaise de la cuisine et en prenant tous les sièges de l’appartement. Ce sera une position bizarre pour quelqu’un de la société que l’absence de toute espèce d’escabeaud. Celui ou celle qui acceptera cet emploi aimerait peut-être mieux la sellette ou quelque chose qui y ressemblâte.
Je ne manquerai pas que de cela, je n’ai pas assez de verres, pas assez d’assiettes à soupe et autres, pas assez de couteaux, pas assez de rien du tout. Je ne suis riche que d’amour mais on n’en peut guère faire ni un tabouret, ni une cuillère, ni une assiette creuse. Enfin, ça ira comme ça pourra. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 3-4
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « précaution ».
b) « paroxisme ».
c) « assoierai ».
d) « escabot ».
e) « ressembla ».

Notes

[1Voir la note 1 de la première lettre de la veille.

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides.

[3S’agit-il du recueil intitulé Le Retour de l’empereur, ensemble de poèmes en l’honneur de Napoléon qui parut à la fin de l’année 1840 ? Ce petit livre, comme le signale Jean-Marc Hovasse, « tant par son format que par son prix (1 franc), fit beaucoup pour la popularité de Victor Hugo » (Victor Hugo, Tome I, ouvrage cité, p. 806).

[4Voir lettre de la veille la représentant en train de souhaiter la bonne année à Hugo.

[5En allemand, Welsch signifie « étranger parlant une langue romane ». À l’origine, le mot est employé par les Alsaciens de langue alémanique pour désigner ceux de langue romane. De connotation originelle péjorative, le mot « welche » est devenu avec le temps une appellation utilisé par les concernés pour se désigner eux-mêmes, comme un signe de reconnaissance et d’appartenance. Juliette utilisera à nouveau ce terme dans une lettre du 9 janvier 1852, et de façon générale, elle emploie souvent des termes allemands ou en imite l’accent.

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