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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 janvier [1840], mercredi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour, je te dis un bonjour matinal, c’est que je me suis couchée plus tôta cette nuit qu’à l’ordinaire. Je n’ai pas eu le plaisir de penser que tu en aurais fait autant, mon pauvre petit bien-aimé, car tu serais venu probablement te reposer auprès de moi ? Il fait un temps ravissant ce matin j’en suis contente pour toi mon cher petit poète errant qui recevra des coups de soleil au lieu de torrents de pluie. Je voudrais bien que tu pensassesb à m’apporter à copier ; me voilà encore une fois à sec et je ne veux pas d’autre occupation agréable que celle de te copier platementc. Jour Toto, jour mon petit o. Je ne vois rien qu’on puisse mettre sur les deux petites consoles à la place de ces deux pots de fleurs qui ne font pas merveilleusement, j’en conviens. Votre génie inventif sera obligé de faire de grands efforts pour trouver chez moi ce qu’il faut à moins de découvrir saint Pierre pour couvrir saint Paul, ce à quoi je m’opposerai de toutes mes forces. Quant aux affreux Turcs de Mme Guérard, je les ai en horreur et je regrette la peine que j’ai prise hier de les débarbouiller [1]. Quels affreux Turcs de la Courtille [2]. Laissez-moi vous aimerd moi et rabibochez-moi. Je suis très arriérée dans mes comptes avec vous et avec moi et je tiens à me mettre en règle avant la fin du mois. Vous voyez que je n’ai pas de temps à perdre ainsi dépêchez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 104-105
Transcription de Chantal Brière

a) « plutôt ».
b) « pensasse ».
c) « plattement ».
d) « aimez ».


29 janvier [1840], mercredi soir, 8 h. ¾

Toto, Toto, vous n’êtes pas académicien. Vous courez encore trop bien sur les glaces du pôle pour vous flatter d’être de sitôt empaillé avec cette étiquette ACADÉMICIEN. Mais vous êtes bien le plus méchant et le plus grognon petit homme qui se puisse voir. Heureusement que je suis la patience et la bonté même et que je prends toutes vos méchancetés avec indulgence. Baisez-moi, vieille bête, et demandez-moi pardon de vos stupidités. J’ai Résisieux chez moi qui me corne aux oreilles ses leçons : ANATOMIQUEMENT, ACADÉMIQUEMENT, STUPIDEMENT ET LA GARDE MEURT ETC. Baisez-moi, j’ai mal à la tête et vous êtes une bête. J’attends toujours mon épicier, la mère Pierceau n’y sera pas allée sans doute puisqu’on ne vient pas. J’en suis très vexée car je suis obligée d’acheter au détail de la mauvaise marchandise. Bref je suis ennuyéea et stupide. J’ai si mal à la tête que je ne peux pas assembler deux mots l’un au bout de l’autre. Heureusement que je vous aime par cœur et que je n’ai pas besoin de chercher pour trouver ce que je veux dire. Je vous aime, je vous aime et je vous aime et voilà tout. Tâchez de ne pas venir trop tard, scélérat, on s’occupe déjà de votre souper et moi j’ai déjà faim et soif de vous. Tâchez de venir tout de suite et pardonnez-moi ma stupidité car je vous aime de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 106-107
Transcription de Chantal Brière

a) « ennuiée ».

Notes

[1Dans sa lettre de la veille, Juliette parlait de « petits Chinois », sans doute des bibelots.

[2La « Descente de la Courtille » est l’un des cortèges traditionnels du Carnaval de Paris. Hugo évoque cet événement populaire associé au souvenir d’une de ses premières nuits avec Juliette, lors du mardi-gras de 1833 où il avait renoncé à se rendre à un bal où il était invité pour aller la rejoindre : « Tu as raison, ce jour-ci est aussi un doux et charmant anniversaire. Je n’oublierai jamais cette matinée où je sortis de chez toi, le cœur ébloui, le jour naissait, il pleuvait à verse, les Masques déguenillés et souillés de boue descendaient de la Courtille avec de grands cris et inondaient le Boulevard du Temple », 20 février 1849.

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