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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 janvier [1840], samedi après-midi, 1 h. ¾

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Tu es bien fatigué n’est-ce pas, mon pauvre petit homme ? J’ai bien pensé à toi toute la nuit car telle que je t’écris j’ai à peine dormi. J’ai souffert beaucoup pour aboutir ce matin à cette hideuse époque que tu sais [1]. J’espère que je vais en éprouver quelque soulagement mais jusqu’à présent je ne fais que souffrir. Je t’aime mon Toto, n’en doute jamais, mon amour, car c’est d’une injustice si grande que cela me met au désespoir.
Que tu étais bon et ravissant hier au soir mais quel dommage que tu te sois en allé si vite. À peine si j’ai eu le temps d’humecter ma pauvre âme brûlante et malade à cette bonne rosée de douceur et d’amour. Et je n’ai même pas le droit de me plaindre car c’était pour moi encore que tu t’absentais. Oh si on pouvait faire marchandise des jours qu’on a [à] vivre je vendrais la moitié des miens pour passer l’autre moitié avec toi sans te quitter et je disais avec je ne sais pas qui : courte et bonne. Mais le bon Dieu qui n’est pas amoureux, lui, n’a pas prévu ce cas-là et de tout ce qui nous appartient et dont nous pouvons disposer, c’est justement la vie de laquelle nous ne pouvons vendre ni emprunter. Je tourne mal ma pensée mais je n’en sais pas moins ce que je veux dire et où le bât me blesse. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’adore, mon âme. Pense à moi et tâche à revenir bientôt car depuis hier je t’ai à peine vu et ce n’est pas assez pour une pauvre femme qui met toute sa joie et toute sa vie à t’aimer et à t’adorer. Jour Toto, je vous aime, entendez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 66-67
Transcription de Chantal Brière


18 janvier [1840], samedi après-midi, 4 h. ½

Plus je t’ai attendu plus je te désire et plus il serait naturel et juste que tu vinsses, n’est-ce pas mon adoré ? Eh bien c’est tout le contraire, plus je suis longtemps sans te voir, plus je souffre, plus je te souhaite et moins tu viens. Ce n’est pas ta faute, c’est la faute du guignon et de mon cœur car il est de moitié au moins dans l’espèce de torture que je m’inflige tous les jours. Il est clair que si je ne t’aimais pas avec toute l’ardeur et toute l’impatience de la passion, je trouverais que le jour et la nuit ne font que 24 heures et non pas un siècle. Enfin c’est comme ça et tous les raisonnements du monde ne me feront rien tant que je te désirerai dans l’absence et dans la solitude. Ne te fâchea pas d’être trop aimé c’est tout ce que je te demande.
Je voudrais, mon adoré, que tu pensassesb à m’apporter à copier ce soir. La lecture me consume dans ce moment-ci surtout j’aurais besoin d’une distraction en même temps que d’une occupation. Je souffre, je suis irritable et je m’ennuie. Non pas de l’ennui qui fait bailler, mais de celui qui fait que la vie vous pèse et qu’on trouverait fort doux de s’en débarrasser pour moins qu’une épingle. Tâche de penser à m’apporter l’autre album ou le 1er acte de ta pièce [2], peu m’importe, pourvu que ce soit de ta chère petite écriture et de tes divines pensées ; je ne suis pas difficile sur le choix, tout m’est bon pourvu que ce soit de toi. Baise-moi, mon Toto chéri, et pense que je t’ai vu un quart d’heure sur 24, ce n’est pas assez.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16341, f. 68-69
Transcription de Chantal Brière
[Massin]

a) « fâches ».
b) « pensasse ».

Notes

[1« L’époque » désigne parfois, sous la plume de Juliette, les règles, qui la font souvent souffrir.

[2Vraisemblablement un album du voyage au Rhin de l’automne précédent, évoqué de nouveau dans la lettre du 20 janvier. Hugo tarde à finir Les Jumeaux, dont il a interrompu la rédaction en août, et qu’il n’achèvera jamais.

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