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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 mai 1849

23 mai [1849], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je t’aime, comment vas-tu ? Je t’ai à peine vu hier. J’espère me rabibocher un peu aujourd’hui, quoique ce soit un peu difficile avec tout ce que tu as à faire. Cependant je t’accompagnerai, nonobstant les coliques qui m’ont reprisesa. Je les ai trop écoutées hier et elles en abusent aujourd’hui mais je ne me prêterai pas à cette lâche conspiration. J’y suis résolue. D’ailleurs le temps est beau et ne peut que m’être très favorable. J’ai passé ma soirée hier avec Mme Luthereau et son fils [1] qui m’a confirméb de plus en plus dans l’opinion que nous étions très mal entourésb. C’est pour cette raison que lui, garde nationaled a changé de logis pour changer de légion. Tout cela vu les circonstances présentes et à venir ne me rassuree pas et je suis bien malheureuse de penser qu’il t’est impossible de déménager tout de suite. Il est vrai de dire qu’à l’heure qu’il est il n’y a pas beaucoup de quartier où l’on puisse se croire en sécurité. Ce jeune homme disait hier au soir que si on descendait dans la rue dans ce moment-ci, il n’y aurait pas vingt gardes nationaux sur cent et que la garnison de Paris était fort peu sûre [2]. Tu penses, mon adoré, quelles angoisses me donnent toutes ces nouvelles qui ne sont malheureusement pas exagérées. J’ai beau avoir du courage et une immense confiance en Dieu, je ne peux m’empêcher [d’être] très tourmentée et de regretter amèrement que tu sois forcé d’assister et de te mêler activement à cette lutte violente dont l’issue n’est rien moins que certaine. Je voudrais être bien loin avec toi et tous ceux que tu aimes ou bien ne pas te quitter d’une seconde et te servir de garde du corps. Mais vivre dans une anxiété perpétuelle, c’est un supplice affreux dont rien ne peut donner l’idée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 147-148
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « repris ».
b) « confirmée ».
c) « entouré ».
d) « national ».
e) « rassurent ».


23 mai [1849], mercredi midi

Je ne t’ai pas demandé hier à quelle heure il fallait que je sois prête ? À tout hasard je m’apprêterai pour une heure et même plus tôt pour ne pas te faire attendre dans le cas peu probable où tu voudrais être à l’Assemblée de bonne heure. Pour rien au monde je ne voudrais être forcée de manquer le bonheur de te voir, car je ne me suis pas encore consolée de l’occasion perdue hier. Aujourd’hui je me mets en mesure de t’agripper au passage. Comment vas-tu, mon petit homme ? J’espérais que tu aurais pu revenir hier au soir, ou plutôta je le désirais de toutes mes forces car je me doutais bien que tu ne pourrais pas revenir. Je me suis couchée à 11 h. ½, Mme Luthereau étant restée jusqu’à 11 h. Aujourd’hui elle doit partir pour Bayeux où elle restera une huitaine de jours auprès de sa belle-mère, puis elle reviendra à Paris où elle fera encore une pause avant de retourner à Bruxelles. Elle me demande très sérieusement et avec beaucoup d’insistance un petit dessin de toi, mais quelle queb soit mon amitié pour elle, je ne me sens pas le courage de lui en donner un des miens. Est-ce que tu n’auras pas la galanterie de lui en donner un de ton immense collection ? Ce serait bien hideusement avare de ta part et j’en rougirais pour toi jusque dans mes profondeurs les plus reculées. Mais j’espère que votre caractère d’ex gentilhomme reprendra le dessus et que vous vous exécuterez avec grâce. Quant à moi, je suis une simple [PORCHE  ?], mieux que cela encore, une basse-BRATTE, et je ne suis obligée à aucune politesse. Heureusement pour moi, car ce serait absolument comme ceux qui mangent des épinards et qui n’en sont pas bien aises, et que cela contrarierait énormément s’ils pouvaient les souffrir. Je garde mes dessins. Tout ce que je peux faire de plus, c’est de vous conseiller d’en donner un des vôtres.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 149-150
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « plus tôt ».
b) « quelque ».

Notes

[1Laure Luthereau a deux fils : Charles-Léon et Félix-Edmond Krafft. Nous ignorons lequel de ces deux hommes se trouvait la veille en compagnie de Juliette Drouet.

[2En janvier 1849, un décret de Louis-Napoléon Bonaparte a supprimé la moitié des bataillons de gardes nationaux.

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