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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 septembre [1837], samedi, midi ¾

Cher petit homme bien aimé, vous êtes bien gentil d’être venu cette nuit. Je vous en remercie de tout mon cœur. Maintenant je voudrais savoir pourquoi vous voulez que je vous écrive puisque vous ne me lisez pas et que je vous approuve de cette abstinence ? Il me semble qu’il vaudrait mieux que je me contentasse et vous aussi de vous aimer de toutes mes forces et de penser toujours à vous sans noircir un tas de feuilles innocentes de papier blanc. Pensez-y mon petit homme et dites-moi que j’ai mille fois raison. J’ai un grand démêlage à faire aujourd’hui dans nos deux caboches respectives à Claire et à moi. Il est probable que vous me trouverez dans le coup de fer si vous revenez avant minuit. Je vous aime mon petit o. Je sais parfaitement distinguer un Cyclope d’un Borgne et je ne veux pas faire faillite ni banqueroute [1]. Je suis une femme RÉELLE dont il ne se dégage aucune CHIMÈRE, entendez-vous vieux bêtaa ? Je vous aime, voilà pour la réalité. Quant aux chimères, vous vous adresserez à AMBOISE qui en a le grand entrepôt [2]. Je vous aime. Jour, jour. Tu vas revenir n’est-ce pas ? Je veux te voir encore, moi. Je ne t’ai pas assez embrassé d’abord, et puis je ne vous ai pas donné le quart des caresses que je me dois.
Je vous attends avec intrépidité. Soir pa, soir man.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 172-173
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « bêtat ».


16 septembre [1837], samedi soir, 8 h. ¼

Certainement que je vous aime. Si je m’écoutais je ferais cent mille choses pour vous le prouver. Mais vous ne voudriez pas. Je me contente de vous aimer en dedans. Je vous aime tant que je ne sais pas comment tout y peut tenir en dedans. Vous m’avez fait bien enragera tantôt, mais soyez tranquille, tous vos gribouillis me passeront par les mains. Je me suis [tignochéeb [3]  ?] jusqu’au moment du dîner qui a eu lieu à 7 h. ½. Maintenant je vous écris avec la presque certitude que vous coucherez à la campagne ce soir, ce qui m’arrange tout juste. Vieux Toto que vous êtes, vous n’êtes pas capable de faire le héros deux jours de suite. À ben ouiche, c’est ben agréable [4] d’avoir un amoureux comme vous. Vous pour comble d’absurditéa vous me laissez ce fagot de lettres que j’ai eu la bonhomiec de vous écrire [5]. Soyez tranquille. Si demain ce tas d’immondices n’a pas disparu, je le brûle pour purifier l’air de ma chambre. Arrangez-vous comme [vous] voudrez, après cela ne me regarde plus.
Je vous aime, moi, voilà pourquoi je suis si bonne et si bête, c’est-à-dire tout le contraire de vous qui ne m’aimez pas et qui êtes très méchant et très spirituel. Tâchez de penser un peu à moi. De mon côté vous n’avez pas besoin de me faire une pareille recommandation. Vous êtes bien sûr que je n’en perds pas une seconde de votre pensée et je n’en suis pas plus fière pour cela. Il y a des moments où je crois que j’en suis plus heureuse mais c’est seulement quand je crois que vous m’aimez. M’aimez-vous ce soir ? Moi je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 174-175
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « absurditée ».
b) « tignocher ».
c) « bonhommie ».

Notes

[1Probable double sens à connotation érotique : en argot, « faire faillite » et « faire banqueroute » sont synonymes de « faire culbute » ou « montrer son postérieur », tandis que « cyclope » et « borgne » sont synonymes d’« anus » et/ou de « pénis ».

[2Allusion à élucider. Juliette et Victor ont visité ensemble le château d’Amboise en août 1834. Il n’est pas impossible qu’il fut le lieu de promesses d’amour et d’avenir faites par Hugo et que Juliette considère comme non tenues.

[3La lecture n’est pas douteuse. « Se tignocher » signifie-t-il, dans l’un des patois utilisés par Juliette, ou dans un français populaire de son temps, « peigner sa tignasse », activité que Juliette prévoyait de faire dans sa lettre de la veille ? Ou serait-ce plutôt un néologisme ?

[4Transcription orale de « Ah bien oui, c’est bien agréable », qui cherche à imiter le parler campagnard.

[5Juliette, à cette époque, n’adresse pas ses lettres à Hugo par la poste ni en envoyant chez lui sa servante : elle dépose ses lettres quotidiennes dans une boîte chez elle, que Hugo relève quand il lui rend visite.

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