18 juin 1863

Guernesey, 18 juin^a [18]63, jeudi matin, 7 h. ¼

Rebonjour, mon cher petit homme, que tout soit à souhait pour ta santé, pour ta gloire et pour ton bonheur ; moi, je te souris, je t’aime et je te bénis à tous les instants de ma vie. Quand je dis que je te souris toujours c’est une forme de ma tendresse car il m’arrive souvent d’avoir les larmes aux yeux quand mon admiration et mon amour débordent de mon cœur et que les paroles et les baisers ne suffisent pas à leur épanchement. Tout à l’heure, je pensais avec tristesse que des bons jours si doux ne nous seraient plus possibles^b et j’en avais le cœur serré comme si cette séparation des yeux devait faire un écart entre nos deux âmes. Pourvu que ce ne soit pas un pressentiment ? Pourvu que le mieux ne soit pas l’ennemi du bien et qu’en cherchant à m’assurer plus longue vie je n’aie pas porté un coup funeste à mon bonheur ! Cette crainte passe et repasse souvent dans ma pensée et me cause une sorte d’angoisse inexprimable que je tâche de combattre en t’aimant encore plus si le PLUS n’était pas déjà dépassé depuis le premier baiser que je t’ai donné. Enfin, mon pauvre trop aimé, mon bonheur et ma vie sont entre tes mains ; il dépend de toi que je vive heureuse et longtemps ; quant à moi je n’ai rien à faire qu’à t’aimer de tout mon cœur et de toute mon âme, ce à quoi je ne manquerai jamais, vivante ou morte. J’espère que tu as passé une aussi bonne nuit que la mienne et que ta santé et ton amour sont à l’unisson des miens ce matin, en reconnaissance de quoi je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 160
Transcription de Gérard Pouchain

a) Juliette a écrit « mai ».
b) « possible ».